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À propos d’un conflit au journal Libération : Parataxis Philo chez MBK

samedi 7 avril 2012, par Criticalsecret editorialist, Daniel Guibert

Édito d’avril ne te découvre pas d’un fil

Soyons naïfs et incrédules. Garder le sens de l’émerveillement ce n’est pas croire, c’est aimer vivre et jouer parmi le monde sans en être personnellement dupes ni imprudents pour les autres. Nous avons ceci de fabuleux que nous puissions nous livrer entièrement à l’instant et en revenir dans l’instant suivant.

Il s’agit, à propos de Nicolas Demorand, de l’actualisation du texte de Daniel Guibert, Parataxis Philo chez MBK (suivre le lien), paru en 2001 dans la revue numérique www.criticalsecret.com/n5, opus "cybermonstre" — d’où son édition sous la forme d’images, au nombre de 19 [1]. C’est une réponse à un article du journaliste désormais célèbre quand il ne l’était pas encore. « Paraphilosophie » de Demorand fut publié dans les Inrocks du 6 mars 2001, à l’encontre d’un ouvrage de Mehdi Belhaj Kacem, Society [2], alors tout juste sorti aux éditions Tristram. Ce qui nous rafraîchit la mémoire sur l’impertinence de Belhaj Kacem en d’autres temps collectifs, pas encore totalement dépourvus d’illusion — je ne veux pas dire l’illusoire mais l’énergie de la poésie active, — où il n’avait pas encore rencontré Alain Badiou, qu’il vient de mettre à distance par son dernier ouvrage aux éditions Grasset, Après Badiou. C’est bien lui. 
[la suite]


P.-S.

[Suite]

Le texte de Nicolas Demorand était d’une conception philosophique particulièrement réductionniste. Ce monde matérialiste là, celui du scientisme, venait de nous tomber sur la figure quelques années avant, et Bourdieu s’en était retrouvé le chantre délibéré ou l’otage malgré lui, au Collège de France plantant un canon académique post-matérialiste pour succéder au post-structuralisme mandarin de Foucault, et ce fut vraiment dommage pour lui, bien qu’il en reçut des honneurs et en fut courtisé. Comme son objet était clair donc lumineux il désignait pour ses prosélytes un combat à mener contre l’obscurantisme, et bien sûr, le réductionnisme dans les sciences humaines ne laissa aucune place à la pensée de l’essai qui s’invente en s’écrivant, et en philosophie laissa traîner quelques clichés des sorcières de l’imposture, à citer absolument pour être admis dans la confrérie apollinienne.

Donc Daniel Guibert n’avait pas manqué que Nicolas Demorand, dans sa lecture réductionniste de la philosophie, ne s’épargnât pas de nous faire éprouver le Schibboleth du savoir, avé l’accent conformiste de celui qui coupe la tête au cas d’étrangeté. Consistant alors à ne pas manquer de décapiter en même temps sans explication Jean Baudrillard et Paul Virilio, réinventés pour l’occasion en figures tutélaires du jeune philosophe pamphlétaire, afin de les mettre dans le même camp, même si MBK dans le flot de son discours faisait également leur critique. Chacun sait aujourd’hui ce que valent les œuvres remarquables de ces auteurs, autant pour leur singularité que pour leur pertinence persistante, sans faire d’ombre à quiconque sinon au pouvoir universitaire, car elles valent par elles-mêmes, connues dans le monde entier à cause de leur l’originalité critique, poétique et prospective, de la précision de leurs découvertes, et non par quelque concession ni effet de rémission.

D’ailleurs Virilio n’a pas fini d’écrire.

Ce qui meurt, c’est l’édition de l’essai en France, parce qu’on a décrédibilisé son intérêt aux yeux du public, dont l’impact du PS alors au pouvoir de l’État ne fut pas contradictoire, dans ces terribles années de l’intellect officiel avançant ses lobbies, alors que l’économie du livre en récession n’allait pas lui permettre de s’en remettre.

Toute la pensée de l’essai, qui inspira le renouveau de la pensée scientifique française et anglophone (où le coût des traductions en France, par rapport au faible chiffre de vente des essais, est devenu prohibitif), parmi laquelle la biologie moléculaire migrant à travers la physique avec les mathématiques, quand situant la place intégrée de l’environnement dans l’étude des phénomènes elle émergea du réductionnisme avant les disciplines littéraires, dès la fin de la première décennie du second millénaire, fut proscrite de l’enseignement en France à cause de la malédiction lancée contre les Lettres. Et elle ne put s’exprimer de façon reconnue que grâce à des communications à l’étranger. En sorte que nous soyons maintenant confrontés à des générations sous l’égide de la performance binaire par rapport à des modèles de performance reproductibles, incapables d’innover de la pensée critique compréhensive du monde traversé, et encore moins de comprendre le pays de Montaigne et ce qu’il en reste de productif en dépit des normes. Ou encore attribuant Nietzsche à la morale plutôt qu’à la philosophie. Pire, poursuivant de ne pas reconnaître ce qui, d’ici, est déjà reconnu ailleurs. La génération suivante est déjà vouée à aller entendre la descendance imaginative et prospective de l’essai intégré dans la pensée sociale comme dans les sciences, issue de la modernité et la post-modernité européennes, de l’ouest à l’est et du nord au sud, seulement dans quelques universités à l’étranger, aujourd’hui. Heureusement, cela nous renvoie un reflet inventif, à la preuve même du génie créatif et critique des intellectuels et des artistes internationaux, qui nourrissent le devenir de notre inspiration culturelle comme la leur, sur le sol américain et dans le monde. Merci à vous, loin d’ici... Ce n’est plus un rayonnement en majeure, mais la mineure est bonne.

Retour au bercail. Si Demorand n’avait pas laissé une des traces les plus pertinentes (des moins dogmatiques) parmi les amateurs de statut et de pouvoir passés à France Culture, par contre il révéla son talent et son charisme dans le journalisme politique pour un plus grand public. La carrière de Demorand devenu journaliste producteur et animateur de la Matinale des actualités quotidiennes sur France Inter, de 2006 à 2010, le révéla autrement intéressant, ouvert, et plus généreux (tout le monde peut changer). Aujourd’hui on apprend le conflit qui le divise avec le groupe des rédacteurs du journal Libération dont il est le directeur de la publication et de la rédaction, mais les raisons sont tout autres [3]...

Il se peut aussi qu’on lui reproche son succès commercial, certes encore insuffisant pour un journal qui allait mourir quand il lui fut confié, lequel repose sur des économies drastiques et des compromis systémiques, optant pour le sophisme éditorial, qui ne prennent en compte ni le journalisme d’investigation, ni la vérification aux sources au-delà des dépêches d’agences, ni les nuances rédactionnelles, ni l’existence individuelle de ses producteurs laborieux, ni la fluidité des rapports sociaux au sein de l’entreprise entre la direction et le personnel. Comme chacun le sait dans de tels cas. Demorand a été choisi pour ça, dans le rôle du directeur néolibéral cautionné par la bonne idéologie de sa réputation critique de gauche, à l’épreuve de sa productivité compétitive, et du courage de ses positions assumées. De sorte que Demorand a aussi apporté à Libération le coefficient de sympathie publique des auditeurs de la Matinale d’Inter, que son départ honorable après la censure infligée contre son gré à un de ses partenaires avait fidélisés. Et ce n’est pas pour rien dans le fait que des auditeurs qui l’avaient suivi ici ou là se fussent en même temps déplacés du journal Le Monde au journal Libération, apprenant qu’il le dirigeait.

Quoiqu’il en soit, le vent des Présidentielles particulièrement nauséabondes après dix ans d’autocratie liberticide et affairiste en France, souffle. Un vent dur, terrible, qui requiert la peur sur fond de crise, l’état des choses cachées, la menace sur les moyens d’existence et la présence aléatoire de l’insécurité, où chacun exprime une prédation, s’enferme, ou se sent victime. Le stress est roi et on compte les morts, dont la médiatisation de la campagne du président candidat à sa propre réélection fait son lit, dans l’atmosphère d’une division civile que nous n’avons pas connue dans ce pays depuis la guerre d’Algérie. On en arrive même à redouter que la clé des résultats de ces élections soit tenue par un ministre de l’Intérieur aussi peu respectueux de la démocratie et aussi violent. S’il n’y avait pas l’insolence provocante de Mélenchon ce serait la peur et le repli de l’abstention assurés. Certes le Libé de Demorand profitant de ses bons points, serait-ce du en partie à la couverture médiatique des révolutions arabes et par conséquent avant son arrivée à la tête du journal, ne roule pas pour le Front de Gauche. Mais les forums de l’édition numérique y sont libres ou quasiment — faiblement modérés — et on peut s’y exprimer longuement, développer des idées et des positions, s’expliquer... et c’est bien le seul journal ou magazine en ligne qui le permette.

Aussi, découvrir l’article développé du journal Le Monde sur les problèmes internes du journal Libération fait rire [4], quand il contient un rien de délation, et oublie largement que si Libé trace la route du PS, Le Monde numérique roule pour Sarkozy (il suffisait de compter le nombre de présences de son image ou de ses sujets de campagne, remis à la une de l’espace des présidentielles, sans disparaître des autres colonnes pour autant, au long des journées durant les dernières semaines).

Si le journal Le point parle du conflit de Libération, on en parle désormais partout ailleurs. Bref, sans doute est-ce la future nomination possible de Demorand à la tête des médias publics qui émeut les chaumières de la Presse traditionnelle et moins traditionnelle, à l’aube d’un changement de pouvoir escompté, plutôt qu’elle ne soit solidaire du personnel de l’entreprise en rapportant largement ses griefs. Le tout au son de Carmagnole, comme si les lampions portés à gauche commençaient à réchauffer les courants d’air qui entrent aussi dans les salles de rédactions, autorisés par les propriétaires mêmes (qui soudain ouvrent les fenêtres).

Pour en finir avec Demorand, il est donc accusé, car publier des soupçons revient à accuser sinon à diffamer (pardon, camarades), de gager par ce journal qui ne lui appartient pas en propre, en tant que travailleur, un poste de haute responsabilité dans les médias publics qui pourrait lui être attribué, en cas de succès du parti socialiste [5]... Pourtant lors de son accueil de Manuel Valls à Libé Labo, à la rentrée dernière, Demorand l’avait repris avec des pincettes, quand l’autre s’était annoncé en porte-parole de "la gauche" pour le parti socialiste... "Vous êtes de gauche, vous ?!" avait-il persiflé. Il a assez de talent et de goût du pouvoir pour ne pas avoir à acheter sa carrière, mais être de ceux qu’on cherche à acheter. Et puis il représente un groupe d’intérêt qui est celui des financiers du média repêché, et là il est peut-être moins lui-même, quoiqu’il soit assez gagnant et carriériste avec de bons antécédents. Et tout ci pouvant ne pas s’opposer avec tout ça. Enfin, il est peut-être engagé avec le parti socialiste pour des raisons de conviction personnelle. Enfin, la coupe sèche dans les champs thématiques auparavant couvertes par le journal est sûrement due à l’économie de l’augmentation des prix du papier (c’est la fin de des éditions "papier", comme on dit), sans rapport avec le coût de production général d’un journal.

Quelque chose m’inquiète davantage que l’engagement et la carrière personnels de Nicolas Demorand à la tête d’un service public — pourvu qu’il ne redevienne pas réductionniste. Je n’ai pas aimé ce dossier à la fin de la semaine dernière, dans la version numérique des abonnés de Libération, tout de même assez tordu dans son titrage et son bandeau iconographique visibles par tout le monde, constituant une sorte de désinformation pour ceux qui ne pouvaient en lire que le titre et l’image : c’était sur l’entraînement de Mehra en Afghanistan (en quelque sorte un documentaire fiction basé sur une enquête qui n’avait rien à voir, venant alimenter les premières thèses de monsieur Guéant à propos de son client). D’abord, vu la déclaration récente de la société du personnel de Libération, dénonçant la sujétion de Libération au PS, c’était comme si on justifiait à l’avance, comme si on préparait l’opinion, à ce que le centre-gauche de monsieur Hollande aille poursuivre les accords guerriers de monsieur Sarkozy avec le Pentagone et l’OTAN, sur le front Afghan. Pour moi, c’est un très mauvais signe (indiquant peut-être pourquoi le PS se taisait sur l’instrumentation opportune de l’affaire Mehra).

Non seulement le maintien de la France dans l’OTAN est contestable, quand il n’existe pas d’alliance dialectique qui lui soit opposée, mais en outre l’alliance est impérialiste, inféodée sous l’autorité des intérêts stratégiques et militaires dominants d’une grande puissance souveraine. L’OTAN dissuasive, sans la guerre, passe encore. Quand l’autonomie relative des pays liés par l’OTAN peut donner à chacun un droit de retrait, n’étant pas de surcroît un front solidaire dans une guerre mondiale, on ne peut comprendre pourquoi il ne serait pas possible de se désengager avant les américains, les seuls maîtres des enjeux et des conséquences de cette guerre. Sinon à se considérer comme des vassaux qui n’ont d’autre choix que de suivre l’empereur dans sa conquête ou ses désordres. La guerre en Asie coûte des vies militaires, et plus encore des vies adverses et collatérales parmi les populations attaquées qu’elle désorganise et anéantit. Et elle coûte l’argent public local capté par le marché international de l’armement, dans un pays en pleine récession où un énorme effort budgétaire est déclaré nécessaire alors que l’effort de guerre qui ne l’est pas — la nation n’est pas menacée par une armée ennemie — est imposée. Or il se trouve qu’un magazine comme Le Point, souvent médiateur civil de l’armement, ne soit pas une voix radicale contre la candidature socialiste.

Ensuite, il s’agit de la pure question de droit qui obscurcit davantage l’effet de titre en alignant des têtes dedits guerriers enveloppés dans des chèches blancs — de toute évidence propres et neufs pour la photo — cachant leurs visages. Car rien n’a encore été produit de la moindre preuve que Mehra fut le véritable criminel dans ces trois attentats, ni celle de son arsenal annoncé par le ministre de l’Intérieur — car il n’y aura jamais de procès pour le prouver puisque lui, l’accusé, celui que la presse étrangère a pris soin de connoter "présumé coupable" selon les premiers messages de l’AFP anglophone, a été assassiné à son tour... Après les changements politiques, les tiroirs où l’on classe les dossiers secrets sont vidés, même pas sûr qu’on les retrouve ultérieurement archivés aux Invalides. Dont certains dossiers en chair et en os, parfois, comme dans l’attentat de Karachi ou à sa périphérie d’autres morts restant inexpliquées eurent lieu. On a bien vu que les dossiers déliés du secret défense n’étaient pas édifiants de l’ensemble de l’affaire au-delà des commissions, car les morts des techniciens de Karachi scellèrent un désengagement instantané de la France entre les deux tours des présidentielles, en mai 2002, un changement d’influence radical, l’abandon d’une alliance française régionale au crédit d’une domination sans partage des USA, aux confins de l’Inde et de la Fédération de Russie. À venir au moment du gouvernement sans cohabitation. Le passage de relai à la Sécurité du gouvernement Bush, exigeant d’avoir la main sur les deux pays nucléaires rivaux de la région, en quelque sorte ne servit qu’à étendre la guerre d’Afghanistan jusque là, d’abord à lui servir de base et ensuite d’y avoir un axe, entre le Moyen Orient l’Asie mineure et l’Asie [6] Et pourquoi pas en prévision de la guerre en Iran.

Même si le frère de Mehra est emprisonné, on ne sait toujours pas au titre de quels faits sinon la complicité avec un meurtrier pas encore prouvé, selon les lois de la justice démocratique. Serait-il un jour prouvé que Mehra Mohamed fut l’assassin, jamais on ne pourra se taire sur la façon dont les choses se produisirent sous l’autorité directe abusive, dont contre le Sénat, de deux ministres d’État chargés de la sécurité.

Que Mélenchon en pleine campagne préfère s’en arranger pour ne pas perdre son temps de parole en procédures contre le pouvoir, mais à développer son programme et prendre le temps des silences qui relancent l’attention, en bon prof qu sait stimuler la compréhension de son auditoire, est une chose qui peut se comprendre. Mais que des journalistes adoptent le même point de vue pour faire campagne à la louche selon les opportunités de leur journal est au contraire parfaitement anormal. Qu’aucune investigation sur les preuves ne soit entreprise est étrange : les journalistes auraient-ils peur pour leur vie, ou seraient-il radicalement soumis à leurs directions, à ce point inféodées aux partis ou aux vecteurs qui les détiennent ?

Qu’aucune identité ni statut de la femme assassinée apparemment par contrat la semaine dernière, à Grigny, n’ait été informé dans la Presse — si l’AFP n’en a pas fait dépêche, les directeurs de journaux auraient toujours pu dépêcher un enquêteur sur place — constitue un problème grave. Quand ce meurtre eut lieu comme une action réussie sur un territoire, une semaine après les échanges activistes entre Paul Laurent, Jean-Luc Mélenchon, et les comités et associations locaux, sur la misère et la sécurité face aux coupures d’eau et d’électricité, au problème de l’approvisionnement de la nourriture, aux armes et au deal, à la demande même des membres essentiellement des femmes des communautés. Ellipse dans l’information, dommageable pour la démocratie au moment où des engagements politiques décisifs se jouent pour ces quartiers. Car cela laisse planer la menace d’un terrorisme aléatoire dont l’exécution est gérée par la pègre, au moment même où les habitants immigrés de nationalité française osent se mettre en marche d’auto-organisation citoyenne pour sauver leur peau.

Pourtant, Demorand vient de prouver à Rennes, plus qu’à aucun autre forum de Libé depuis qu’il le dirige, comme il a pu changer en dix ans, en donnant la place rayonnante à Edgar Morin pour conclure, après Stéphane Hessel (qui lui aussi était invité pour le PS et resta jusqu’au bout). Certes il émarge au nombre des dix sages qui auraient assumé de couvrir la campagne du parti socialiste, mais dont le moins qu’on puisse dire est, concernant Morin (de même qu’Hessel en politique), qu’il ne soit ni n’ait jamais été un penseur réductionniste. Il est un des intellectuels français qui en toute cohérence de sa pensée anthropologique, sociologique et politique, ne s’est jamais départi ni de la complexité de l’objet multidisciplinaire du savoir, selon les concepts qui fédèrent les sections de son encyclopédie intitulée La méthode (dix volumes). Morin, grand ami et familier de Baudrillard, lesquels se sont éprouvés dans une solidarité publique réciproque et sans faille, signée, face aux attaques sionistes les accusant d’antisémitisme dont ils avaient été chacun à leur tour la cible inappropriée, à cause de leur position respective sur l’Islam et sur la Palestine.

Et soudain quelle merveille — non pas une surprise car Morin n’a rien piqué à son ami, ils avaient une relation dialectique à leurs pensées — d’entendre Edgar Morin délibérément conclure le raisonnement politique dialectique, par la dualité sociale technique et politique du monde, ce que l’on fait à la fois de bien et de mal dans un acte intégré, individu société et pouvoir représentatif, quand ce fut la recherche même de l’explorer en le disant à laquelle s’attacha Jean Baudrillard, depuis Les stratégies fatales. Et quelle merveille de l’entendre implicitement citer, au présent, les lointaines philosophies qui relient les cultures hébraïque, marrane, musulmane, chrétienne du sud de l’Europe, sans les séparer de la pensée moderne du nord, ni de la pensée chinoise, dans leur postérité au-delà des religions. Morin qui a émergé du communisme anti-stalinien par son intelligence individuelle et collective, qui a innové dans le documentaire filmique. Nous l’aimons.

Seulement, dans l’exposé de la dualité sociale et du pouvoir, pour en finir avec la dialectique, n’excusait-il pas à l’avance l’embarquement socialiste pour des leurres, dans des contrées aux routes fatalement antisociales en feed-back, annoncées par le programme et les engagements supra-nationaux de François Hollande et de son équipe (OTAN, Europe pactuelle de Lisbonne — finances, banques, diplomatie, défense, euro assujetti par le dollar à valoir plus que lui — et l’administrant ainsi contre les intérêts de l’Europe, au niveau même du FMI et de la BCE), en même temps qu’il procurent un peu de miel pour panser les cœurs qui auront à le supporter à leurs dépens ?

http://www.liberation.fr/promo-libe/06015121-revoir-la-seance-de-cloture-du-forum-de-rennes (attention, son intervention dure 55’ et il est impératif de l’entendre jusqu’au bout pour en comprendre le plein sens).

Et ici la même vidéo accessible sous un autre lien (pour ceux qui trouveraient inconvenant que ce lien dans Libé commence par "promo") : http://zen.viabloga.com/news/edgar-morin-au-forum-de-rennes-2012

Et justement pour ma part, n’étant liée à un parti quelconque ni majeur, je ne vois là aucune contradiction de persister dans mon intention de ne pas voter au centre-gauche mais à gauche au premier tour des Présidentielles. Ce qui ne représente que moi non les partenaires internes ou externes de criticalsecret ni mes amis. Comme quoi chacun peut interpréter à sa guise de tels gestes dont ceux de Demorand pourtant sans équivoque, pourvu d’être libre. Et puis respect aussi, à ceux qui n’ont jamais voté pour des raisons politiques, et par conséquent n’étant pas inscrits sur les listes, qui ne jouent pas de rôle biaisé en s’abstenant, pour influencer la tendance des suffrages exprimés. Et puis tiens : je voudrais qu’on rétablisse le vote blanc décompté du pourcentage général remporté par les candidats, de sorte que les abstentionnistes se fassent plus rares même si les non inscrits persistaient à rester légitimement dehors.

J’en profite pour dire, sans incohérence avec mes déclarations sur Edgar Morin, du côté de MBK, qu’à l’instar de l’auteur qui le défend contre Demorand dans le texte extrait d’un opus de criticalsecret datant de 2001, j’apprécie toujours Mehdi Belhaj Kacem, moi aussi, onze ans après et malgré ses travers, sa propre dualité lui valant aujourd’hui d’être un immense écrivain avéré. D’ailleurs, finalement en 2009, j’ai expliqué mon point de vue dans une recension de son œuvre à l’occasion de la parution de L’esprit du nihilisme : Une ontologique de l’Histoire chez Fayard. C’est ici :
http://www.larevuedesressources.org/i-love-mehdi-belhaj-kacem,1185.html.

On espère que tous se mettent d’accord, ce sera bon aussi pour les lecteurs du journal Libération (un peu trop clos par l’accès des abonnés sur Internet, plus coûteux que celui du journal Le Monde).

A. G. C.


L’article de Télérama paru le 3 avril “Libération” : Nicolas Demorand (encore) au pied du mur ?

Notes

[1] Les coquilles ne sont pas dues à l’auteur mais à la main de la rédactrice qui a retranscrit le texte dans le format utile à sa numérisation.

[2] Mehdi Belhaj Kacem, Society, col. essais, éditions Tristram, Auch, 9 janvier 2001. (l’ouvrage est disponible sur amazon.fr).

[3] Lundi 2 avril 2012

COMMUNIQUE DE L’ÉQUIPE DE LIBÉRATION

Lundi 2 avril, l’assemblée générale convoquée par la SCPL s’est réunie dans la salle du hublot. Une large majorité des personnels de Libération y a participé dans une ambiance calme et résolue.

Au cours de cette assemblée, s’est exprimé un grand malaise, qui tient d’abord au sentiment d’être dépossédé du journal. Bien souvent, nous ne nous y reconnaissons plus.

La direction semble ne pas avoir de politique relative à chaque domaine du journal, du sport à l’économie, de la politique à la société, du web à la culture. Elle ne tient aucun compte de ce que les rédacteurs, eux, peuvent en savoir selon leurs compétences et leur aptitude à travailler ensemble.
De là, le sentiment général d’être l’objet d’un mépris, encore accentué par l’attitude autoritaire et arrogante de la direction. Et ce, dix mois après que l’équipe a voté à une large majorité une motion de défiance.
Un an après l’arrivée de Nicolas Demorand, la greffe n’a pas pris.

La liste des griefs est longue :
- Des Unes racoleuses qui tantôt défigurent Libération, tantôt vont à l’encontre des valeurs qui ont toujours été les siennes.
- De pseudos événements basés sur des interviews et non sur des reportages et enquêtes.
- Un traitement éditorial partisan en matière politique, qui semble inféoder le journal au PS.
- La mise à l’écart de continents entiers du journal, comme le social, l’environnement, l’immigration.
- Des embauches de cadres répondant à une logique discrétionnaire, sur fond de précarisation croissante des pigistes.
- Des divergences évidentes au sein de l’équipe de direction qui conduisent à la confusion tant rédactionnelle qu’organisationnelle.
- Des opérations publicitaires contestables lancées sans consultation de la SCPL en dépit des engagements pris par la direction.

Le sentiment prévalent est que l’équipe de direction s’est surtout souciée d’asseoir son pouvoir plutôt que de se mettre au service du journal.
Libération ne se fera pas sans son équipe.
L’équipe demande à entendre la direction sur l’ensemble de ces points, et se déterminera en conséquence.

L’équipe réunie en AG
(source Scribd.com)

[4] L’article du Monde est du 6 avril par Par Xavier Ternisien et s’intitule « "Autoritarisme", "unes" racoleuses"... la direction de "Libération" mise en cause ».

[5] Lire l’article du 5 avril, "Libération : journal au bord de la crise de nerfs permanente" par Michel Martins, dans Electron Libre.

[6] On peut lire l’évocation de circonstances qui dépassent le cadre des "commissions", dans le dernier chapitre "Autres pistes" de l’article de Wikipédia Attentat du 8 mai 2002 à Karachi.

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