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Présentation de l’hommage de Jean-Paul Dècle pour M. Gross et à N. Ruwet @ La RdR

samedi 10 novembre 2012, par Aliette G. Certhoux

Incandescence de la linguistique

La montée métonymique installant les malentendus entre l’hérédité et la génétique et la génétique avec le gène, selon une conception finaliste — voir holiste — par les lecteurs des deux derniers livres parus de Noam Chomsky, notamment celui sur la linguistique (l’autre étant sur son engagement mais cela permet de les opposer par les adversaires politiques du linguiste), qui ne sont pas encore traduits en français, porte à rappeler que Chomsky ne pourrait pas confondre la carte et le territoire [1] et que la linguistique mathématique est en partie une science des probabilités. Ces ouvrages sont désinformés par la recension comparée (traduite en français dans La RdR) de Hawkes qui en donne une fausse vision, mais s’il s’y est livré de mauvaise foi, il n’est pas le seul, d’autres l’ont fait en toute bonne foi [2]... en attendant l’accès aux livres, voici un texte pour mémoire des pionniers en France.
Rappel à la fois sensible — émouvant — et aigu dans sa critique du contexte, en hommage aux linguistes structuralistes Maurice Gross et Nicolas Ruwet, qui installèrent Noam Chomsky avec Zelig Harris (son professeur) dans l’enseignement de la linguistique en France, en même temps que d’autres installaient le corollaire mathématique de cette linguistique scientifique (avec ses modèles mathématiques — stochastiques, — où nous avions des mathématiciens d’excellence, émergents du groupe Bourbaki à travers Claude Chevalley, un des fondateurs du groupe, également fondateur du département de mathématiques de l’université de Vincennes), pas encore reconnue sur le plan académique à ce moment là. Tous rassemblés à la faculté de Jussieu avant la création des départements de l’université de Vincennes.
Ruwet et Gross ont disparu prématurément la même année, en 2001 — peut-être parmi les victimes de cancer dû à l’amiante, comme les laboratoires restèrent à la faculté de Jussieu.
Il s’agit ici d’un témoignage littéraire [3], qui montre bien cette traversée de tout ce qui pouvait fasciner d’entreprendre, et de choisir encore, parmi les possibilités universitaires novatrices à l’époque, quand l’informatique allait bientôt exploser de tous ses moyens experts grâce aux langages mathématiques et à leurs probabilités formelles, appliquées de la linguistique, et en quoi il put s’agir d’un destin pour les étudiants et les chercheurs qui les informaient, et pour ceux qui se tenaient à leur périphérie, les salariés qui venaient suivre les cours du soir, (et parfois si fatigués qu’ils se contentaient de déclencher leur magnétophone plutôt que prendre des notes, en recevant toutes ces vibrations dont ils n’auraient pas voulu manquer une seule seconde).
Il exista des rencontres pédagogiques fulgurantes, terriblement séduisantes ou captivantes, déchirées ou poétiques elles-mêmes ; à ce moment on parlait du développement fantastique de la linguistique aux États-Unis, sans s’emmêler dans la valorisation idéologique des modèles politique et économique eux-mêmes, qui aurait été soumise par l’admiration scientifique, car ils étaient critiqués par les mêmes personnalités. Cela vous propulsait en puissance de vos désirs au lieu de vous rabattre sur le chemin étroit de la discipline, tout juste libérée — désenclavée des sciences de l’homme par la pluridisciplinarité scientifique. Car l’abstraction libère des contingences naturalistes, loin d’y rabattre sinon rendant tous les mondes possibles (Nelson Goodman). Nos leçons de vie en aventure de la liberté générale dans un monde dialectique en émoi.

Ici nous retrouvons l’univers de l’informatique et les champs sémantiques du web englobants et englobés dans le monde d’aujourd’hui, où l’auteur de ce récit est professionnellement partie prenante de ceux qui travaillent dans le domaine de la linguistique formelle, c’est dire s’il est bien placé pour savoir ce qu’elle est et ce à quoi elle sert.

Tel fut mon contact personnel — quoique sans avenir de ce côté me concernant, — éphémère et ébloui, avec les pédagogues d’une linguistique dont pourtant les arbres (les schémas arborescents) et les mathématiques, avaient tout pour m’effrayer. Je peux attester que tout ce qui est dit là sur les affects et les propos des linguistes cités est absolument crédible. En même temps, albatros vulnérables sur le pont et d’autant plus scientifiques à la vue hautement placée, l’un star et l’autre prince, pourtant qui répondaient avec passion et précision à nos questions les plus naïves à bord... Mais nous n’étions pas des matelots nous amusant de leur incongruité passagère, parce que nous savions bien qu’il fallait réagir à les entendre au moment même, ce qui allait nous rendre immédiatement ou durablement intelligents.

(A. G. C.)


Voir en ligne : Incandescence de la linguistique, Je me souviens de Nicolas Ruwet et de Maurice Gross

P.-S.

En logo, un portrait photographique de Maurice Gross par Vera Mercer (environ en 1965), document en CC @ Maurice Gross, (article dédié), dans fr.wikipedia.

Notes

[1] Il s’agit de l’adage de Alfred Korzybski fondateur de la sémantique générale (inspiré par la théorie de la relativité de Einstein), qui confèrent aussi l’arbitraire du signe dans la linguistique de Saussure.

[2] Par exemple, au début de son article (lié) John Gliedman rapportant son Interview de Chomsky l’interprète ; mais plus loin on voit bien dans les propos de Chomsky cités que ce n’est pas exactement le sens donné par ce dernier. Au moins est-il cité dans son contexte. Par contre l’interview est intéressante où Chomsky situe son engagement politique par rapport à son statut de chercheur, en quelque sorte réponse anticipée aux attaques qui lui sont portées par Hawkes selon lesquelles il y aurait entre ces deux pensées une aporie. Pour situer la linguistique de Chomsky, il existe une page historique et épistémologique sur la linguistique dans les site du laboratoire des langues du CNRS.

[3] Le titre de Jean-Paul Dècle s’inspire du let-motiv littéraire et performatif d’un recueil de Georges Perec, paru par fragments depuis 1973 dans des revues ou énoncés au cours d’ateliers de création radiophoniques pour France Culture, puis rassemblés sous le même titre, Je me souviens, en 1978 chez Hachette ; ce fut un let-motiv culte au cœur des ritournelles mélancoliques ou caricaturales de la fin de la postmodernité, d’autant plus que le célèbre auteur oulipien mourut jeune (à 46 ans), en 1982. Perec lui-même plagiait presque en temps réel des publications de l’artiste du mouvement underground new-yorkais Joe Brainard (1941-1994), en les adaptant en France comme dans un travail sous licence libre, notamment I remember, titre et série de fragments auto-biographiques performatifs de l’artiste couvrant les périodes depuis la fin de ses années 1940 dans l’Oklahoma à ses années 1970 à New York, en cassant non seulement le continuum littéraire des autobiographies mais encore le rythme des publications en séries et leur mono-discipline, et dont les principaux fragments parurent entre 1970 et 1975. Sur les diverses apparitions de ce leit-motiv en chaîne par différents traducteurs et auteurs, en plusieurs langues, voir l’article Memory Work.

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