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Présentation de La Survivance @ La RdR 1, 2.

samedi 8 décembre 2012, par Aliette G. Certhoux

Deux courts essais @ La Revue des Ressources sur le style de la romancière Claudie Hunzinger. à propos de son dernier roman paru, La survivance (288 pages, éditions Grasset, Paris, août 2012), dont la revue publie des bonnes pages, à l’occasion des étrennes. Du déplacement de la rhétorique à l’usage singulier de la syntaxe.

La « créolité » romanesque de Claudie Hunzinger :
à propos du roman La Survivance (éd. Grasset) :

1. De quelques singularités stylistiques chez Claudie Hunzinger (le déplacement de la rhétorique).

2. Synesthésie et Cénesthésie voguent sur la syntaxe (l’usage singulier de la syntaxe).


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Claudie Hunzinger
Portrait photographique, citation du site de France-Culture,
à la page de l’émission
Littérature : Claudie Hunzinger
Essais : Alessandro Stanziani
,
(21.09.2010),
où l’on peut encore entendre le différé
et le télécharger en podcast.


1. De quelques singularités stylistiques chez Claudie Hunzinger. Le déplacement de la rhétorique

La Survivance est le nom d’une maison en attente devenue le recours imprévu de ses propriétaires, soudain voués à la disparition de leur mode de vie et de leur économie de subsistance, alors qu’ils n’avaient jamais pensé l’habiter. Tout simplement parce qu’elle n’était pas seulement isolée mais inhabitable.
C’est le titre du roman d’autofiction « synesthésique » de Claudie Hunzinger. Quelque chose d’autre qui était distant et inhabitable s’habite dans le roman de Claudie H. — peut-être la forme romanesque elle-même devenue inhabitable, que l’auto-fiction ressuscite, ou plutôt la synesthésie venant habiter l’auto-fiction — lui donnant vie (la cinquième dimension). Dans ce cas la quatrième dimension serait l’actualisation organique par le style [1].
Le monde actuel inhabitable, ou plus intimement, toujours, la conscience de vivre et de mourir. Jenny dont la synesthésie la rend socialement inhabitable à l’égard d’elle-même, ou Sils métaphysiquement pour lui-même. Tant d’étrangetés douloureuses nous hantent dont on fait notre familiarité dynamique à lire La Survivance. De toutes façons, créer ici, c’est habiter l’inhabitable (« l’âme des poètes »).
Un livre excitant à lire, depuis les nourritures terrestres objectives (au sens propre du mot : ressources et sensualité) jusqu’aux nourritures de l’esprit (objectives au sens propre du mot : c’est-à-dire portées par les livres et la musique) — dont jamais le concret si misérable pourrait-il devenir ne livre à sa fatalité, tant qu’elles demeurent inséparables. Non pas l’un menant vers l’autre mais les deux se déroulant en même temps en regard l’un de l’autre.
Où le style tisse la singularité du destin de l’œuvre comme celle du vivant (en leur somme incrustée de petits et de grands événements et/ou d’accidents prévisibles et/ou imprévisibles).
Et donc un livre paradoxalement incident et centré à l’image de la vie comme destin (dans le sens du hasard pour ce qu’il fera advenir des choix par l’environnement et les circonstances des rencontres et des opportunités), passionnant dans son hétérogénéité — le principe vital qui se pense lui-même, à la fois prédateur et proie.
Le livre ne fait pas l’ellipse du mal ni même par la morale.
La puissance — l’énergie créatrice qui se manifeste par l’ouvrage.
La faculté d’Alice où le livre est l’horloger des abîmes et des rêves.
Où les livres-se-livrent-et-livrent à la dialectique de la vie. L’un et réciproquement dans le miroir infini de l’autre.
La vie concrète toujours ressaisie en expérience multiple et continue de la sensibilité de l’esprit (la connaissance, l’intelligence à a fois exactes et approximatives). Un livre sur l’événement de renaître toujours par la diversité du contact anachronique entre les références, tels les livres rassemblés par Jenny selon les couleurs de son inspiration, et de cet assemblage, l’autre idée qui surgiit. Et cet ouvrage même, dans une forme imprévue de l’essai (sa philosophie singulière), prenant subtilement la porte ouverte sur la compréhension joyeuse (Nietzsche), celle d’un roman singulièrement sympathique (en même temps qu’irritant), et bouleversant d’énergie positive.
Il met en question d’aventure nos histoires de vie respectives, à travers celle pourtant caractéristique de l’imagination exprimée par l’écriture qui nous captive — nous sommes à la fois sous l’œil de l’aigle et saisis par l’humour toujours héroïque de sa séductrice (celle qui fait son affaire du risque y compris le style comme risque de l’existence).
L’ouvrage a été crédité d’une attention particulière de la Presse dont la diversité des remarques et des supports doit être notée, comme s’il s’agissait d’une expérience collective aux lectures variées. Alors il s’agirait d’existences de haut niveau — en somme un livre qui anoblit ses lecteurs par sa propre distinction. Des lettres — avoir des lettres c’est cela, toujours particulier : initié ou initiatique, une façon de construire la vie arbitrairement. Ce que La Survivance offre au lecteur, comme Faure suggéra d’offrir autrement l’histoire de l’art, et Warburg radicalement l’histoire des idées.
Claudie Hunzinger distille son énergie littéraire depuis toutes sortes de mémoires et d’actualités, coexistantes avec le filtre de tous ses savoirs notamment, artistiques, plastiques, agricoles, rupestres, domestiques, livresques — la philosophie incluse.
Plaise au lecteur de découvrir à travers ces quelques pages à la fois le regard impitoyablement critique de l’enfance, quand ses visions sont troublées par le monde contraire (regard qui résiste dans la créativité des adultes), et le style contemporain particulièrement riche de Claudie Hunzinger. Un style vivant au sens propre, surgi du réseau cognitif conceptuel et poétique des métamorphoses bibliophiles de Warburg, cité précisément par l’auteure. Comme si sa liberté interprétative l’extrapolait en l’affectant à toutes les substances sociales et matérielles qui l’environnent elle-même, chacune étant capable de faire rebondir l’innovation d’un potentiel de l’autre — en potentiel vital. De Warburg, elle évoque avec précision la recherche de l’activité mentale anachronique et variable, appliquée à la création de la bibliothèque organique. Comme un roman — une fiction — peut devenir organique à travers l’auto-fiction, et se transformer à sa lecture variable.
Tissant une dentelle écrite de plusieurs matériaux des mots, disant la richesse de s’arracher à deux de la solitude, et en même temps la beauté des solitudes quand elles bâtissent ensemble sans se ressembler. Tels ces reliefs en motifs diversement extraits, entrelacés, incrustés, et rythmés de mots formant les phrases, parfois interrompus et repris sous une autre forme, ou retrouvés tels quels — raccrochés — au détour d’une autre phrase forment un territoire aux multiples reliefs. Sa tendresse et la pluralité de sa force, tirée de sa cohérence durable due à son talent auto-critique et même auto-dérisoire, son acuité, sa volupté.
Et de tout cela le style de Claudie Hunzinger, une arborescence sans limite de désir et de sens, contre le désert surgi de la multitude des significations reproductibles, qui ne parviennent plus à distraire de leur violence érosive. Elle active notre jouissance de la vie, si ténue soit-elle (tant qu’on peut concourir à sa propre survie).
Contre la violence du monde exemplifié et la vie nue qui en résulte : la passion de danser entre les univers avec des ponts de mots, créant des mondes de mots, et des anamorphoses concrètes qui en surgissent (Breton) : l’art et la poésie émergents au-delà de la culture (désertique), contre le désert économique et la dévastation de la guerre.
L’ouvrage construit sans le dire l’abstraction d’un anagramme romanesque qui entraîne dans un jeu critique renouvelable au contact du monde du lecteur (qu’il soit cultivé ou pas — et dans ce cas à suivre le fil de l’auteure, qu’il se laisse faire, le livre le conduira à découvrir les objets de ses références personnelles jamais conçus comme tels auparavant). Magie n’est pas une image mais une réalité.
Un livre d’étrennes.
C’est son second ouvrage paru aux éditions Grasset, et son cinquième livre. (A. G. C.)


Pour lire les bonnes pages du roman, de 12 à 29, auquel cette présentation est dédiée, découvrir les Illustrations de création, et suivre divers liens, voir l’article original :
http://www.larevuedesressources.org/la-creolite-romanesque-de-claudie-hunzinger-la-survivance-1-pp-12-29,2443.html


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2. Synesthésie et Cénesthésie voguent sur la syntaxe [2].
(l’usage singulier de la syntaxe)

Des arts plastiques à l’écriture trans-genre les singularités de la langue inventée par Claudie Hunzinger, sa langue partagée entre les genres et les espèces organisant une bio-société, manifestent le microcosme d’un monde désaxé, et la condition misérable de ses voix éperdues. La tragédie apparaît parfois « loufoque » dans la voix de Jenny (l’écriture l’est aussi parfois, délibérément).
Ce n’est pas la langue phonétique composite d’une langue étrangère avec la nôtre (l’arabe et le français), et sa construction syntaxique en édifice, comme lalangue de Pierre Guyotat, quand il façonne les objets mentaux de son mythe en visions exotiques ou hiératiques.
Ici tout se parle dans notre langue commune, la plus actuelle et accessible, pourvu que l’on soit capable de lire sensiblement ce que l’écriture élabore d’un patchwork rhétorique déplacé de ses objectifs traditionnels. Une langue familière de la révélation de notre « externité » (la vitalité équivalente de la jeunesse), non pas en quête de la réalisation d’un objet littéraire significatif, mais de la perception des vibrations et des flux. À travers quelques dérèglements des usages et des points de vues, des disciplines qui se traversent, des voix intérieures ou sonores d’un genre à l’autre dans une multitude de perceptions ressenties, le cycle des saisons surgit comme une condition éprouvante de l’environnement dont il faut se protéger autant que des lois a-sociales.
Particulièrement les gens et les animaux domestiques se parlent, pas toujours avec des mots, les prédateurs sauvages observent ; les choses physiques sensibles au vivant (par exemple les livres et les cartons atteints par leurs conditions de stockage et leurs changements d’affectation donnent au libraires une indication du temps écoulé, à vivre ensemble avec eux dans la grange), parlent ainsi à ceux qu’ils accompagnent et qui rétablissent la stabilité des piles de carton, par exemple.
Tous les usages traditionnels se déplacent, pourtant ils sont là, effaçant les catégories des lieux, sinon largement l’abri (l’Arche — qui ne contient pas les loups ni la faune environnante, mais n’est pas une protection assez durable pour sauver ceux qu’elle abrite), — plutôt que leur description du paysage, la perception de la géographie et du climat vosgien (existant), selon les pas et l’inconfort de Jenny et de Sils.
Dans la voix de Jenny — qui est aussi celle de Sils — ce n’est pas une langue poétique qui se substitue à la communication de l’expérience de vie elle-même qui se transmet, c’est notre langue même qui se transfigure pour la communiquer, son autre monde, le monde ressenti, au long de notre lecture.
Il y a un langage d’art génératif qui installe la communication similaire du chaos en mouvement, espace-temps précaire et provisoire, qui se dégrade réellement sous les mots comme dans la vie. Quelques choix pris pour règle d’écriture à contre-temps, comme un double critique des médias, et qui dépasse la dimension critique de la poésie.
De sorte qu’on se trouve dans un univers réflexif extra-social, dans un univers extra-territorial, mais que nos dispositions culturelles et sociales nous permettent de comprendre parfaitement et d’évaluer spontanément, sans détour, par rapport à l’ordinaire.
Lire La Survivance c’est entrer dans un infra-espace souple où tout peut soudain être dit du rire aux larmes, de la douceur à la monstruosité, de la peur à la confiance, de la joie à la tragédie.
Non plus le sortilège des fées mais l’alchimie d’une coexistence multiple et simultanée des êtres en chacun d’eux, et de nous y donner accès loin de l’anthropomorphisme, comme la formalité d’une connaissance.
La singularité de Claudie Hunzinger, peut-être empruntée aux contes, s’exprime tout autrement de cette source, entre le vivant qui se développe en s’environnant librement au-delà des classements identifiés, sans désaccord les paradigmes scientifiques de notre temps, (inspirés par la physique des particules et la biologie moléculaire, et de leur fluidité interdisciplinaire commune).
Il n’y a pas de greffes, la présence de la littérature n’est pas une greffe dans l’événement, mais une coexistence sympathique, parfois indistincte par empathie réciproque de la voix du récit et des récits rapportés ; rien à voir avec la transfiguration corporelle plastique des artistes Orlan ou Stelarc. Ici c’est le langage interconnecté qui influence le vivant et ainsi ils se modifient sans rupture, loin d’un naturalisme édifiant (représentatif).
Ce point de vue critique ne s’énonce pas sous la forme du raisonnement mais par la réalisation de sa sensibilité interférente, en introduisant ces dérèglements linguistiques — encore une fois on pourrait dire rhétoriques — qui déplacent les ressources recensées par l’auteure (c’est-à-dire l’environnement matériel et naturel de ce qui se parle étrangement dans la société).
Contre la destination ordinaire de la langue entre communautés de la même culture, elle a une langue « passe-muraille » servant à comprendre l’environnement qui la contient, et par rapport auquel elle tient une posture altière d’écrivain et d’artiste passeurs de leur expérience. Elle s’intègre à ce qui échappe au langage social institué et le fusionne en créant avec — pour se dire semblable, dans un défi.
L’attitude d’ouverture était le comportement de survie des GI’s perdus dans la jungle pendant la guerre du Pacifique contre les japonais... Au fond, dans ce livre de Claudie Hunzinger, l’attitude d’ouverture à l’étrangeté est un comportement de survie de ceux qui sont égarés par la société contemporaine hostile.
Ce qui permet aussi à l’auteure de s’intégrer ordinairement, car jamais pour autant de révolte et de résistance nous ne nous trouvons dans l’univers de la folie. Le chaos intime est provoqué par les conditions extérieures, comme dans les ouvrages d’anticipation de Philip K. Dick (Ubik, où des entreprises capitalistes gouvernent et où tout se paye, auquel on pense aussi lors de l’évocation de la cantate de Bach dans La survivance, car c’est la musique qui maintient la structure mentale de l’anti-héros de K. Dick Joe Chip, résistant au système qui l’égare)... même si nous identifions — ou nous pouvons nous identifier à — la ville et une montagne françaises ces jours-ci...
Jenny et Sils se confrontent autant à l’absence de ressources qu’au non-sens du monde codifié qui les contient, destructeur des gestes vitaux et de l’économie des ressources, au point de menacer le corps de ceux qui subissent l’épreuve en lui résistant, et/ou la structure mentale de ceux qui ne peuvent résister ou d’adapter.

Claudie H. se situe et situe ses recherches exactement où les choses et les vivants existent ensemble indépendamment du code réglé des sociétés instituées, qui les ignorent ou brisent leurs liens. Son domaine d’inspiration humain est équivalent du domaine animal, végétal, minéral, — sauvage — auto-régulé. Elle est darwinienne comme si elle-même faisait partie du corpus darwinien en mouvement (un corpus scientifique mouvant, parce qu’il évolue sans cesse avec le monde qu’il essaye de comprendre).
Son style littéraire contemporain est une poursuite de son art contemporain d’une autre façon (abstraite), une installation en mouvement, en durée (les quatre et cinq dimensions). Sa façon de résister parmi le monde — poussières cosmiques qui ensemble donnent forme fluide à l’univers terrestre fragile que nous aimons. Et bien sûr, dont nous faisions partie à notre insu. (A. G. C.)


Pour lire les bonnes pages du roman, de 220 à 223, auquel cette présentation est dédiée, découvrir les Illustrations de création, et suivre divers liens, voir l’article original :

http://www.larevuedesressources.org/la-creolite-romanesque-de-claudie-hunzinger-la-survivance-4-pp-220-223,2446.html


P.-S.

- Le logo est la première de couverture de La Survivance.

- SAUVONS LES LIBRAIRES ! Les deux titres de Claudie Hunzinger parus chez Grasset sont accessibles ou peuvent être commandés dans toutes les librairies.

- Il est également possible de se procurer cet ouvrage ainsi que le premier chez le même éditeur, Elles vivaient d’espoir, existe également en format de poche, en les commandant dans les librairies sur Internet, parmi lesquelles la boutique numérique de la librairie Decitre, et la librairie numérique amazon.fr.

Notes

[1] À tout hasard on peut s’exercer à imaginer la question des dimensions représentatives, parmi lesquelles la quatrième (le temps) et/ou la cinquième (le temps ajouté aux dimensions géométriques possibles d’un objet mathématique, c’est à dire le mouvement), mais pas toujours représentables sinon par l’équivalence des chiffres, ou par l’art ou la poésie, en lisant ce résumé à propos des espaces à quatre dimensions.

[2] Synesthésie (Robert) : « Figure de style qui consiste à employer pour se référer à une perception sensorielle un mot se référant d’ordinaire à la perception par un autre sens (ex. une couleur criarde, un parfum mélodieux) » (et plus largement dans La Survivance : les alternances interférentes des voix entre les genres, et les évocations sensibles entre les situations, les perceptions, le vitalisme végétal, les éléments, les matières organiques et minérales, les livres comme architecture et comme mobilier, le partage humain des lieux animaliers, les registres artistiques et musicaux).
Cénesthésie (Robert) : « Impression générale d’aise ou de malaise résultant d’un ensemble de sensations internes non spécifiques. » (et plus largement dans La Survivance : les humains intuitifs et les animaux empathiques, l’entrelacs des situations sous la forme des citations — et exceptionnellement des auto-citations — qui dans leur substitution n’ont plus rien d’un collage).

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