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Question à monsieur Fillon, Premier Ministre

Remerciements à Serge Letchimy, élu représentatif de la république, et aux écrivains de la créolité, dont la pensée sociale et critique est immense, de rappeler les fondamentaux de la culture française moderne et contemporaine que nous habitons collectivement, mais que chaque jour le pouvoir en place foule au pied et dénie contre la citoyenneté égalitaire, libre et solidaire.

vendredi 10 février 2012, par Serge Letchimy

     _____/ Récapitulatif des pièces du dossier de Letchimy répondant à Guéant, et des solidarités : Le 7 février 2012 était un jour des questions des députés au gouvernement, à l’assemblée nationale. Serge Letchimy, député de la troisième circonscription de la Martinique, et Président du Conseil régional de la Martinique, a posé au Premier Ministre une question à propos d’un discours électoraliste que Monsieur Guéant, Ministre de l’Intérieur, avait fait le 4 février 2012 devant l’assemblée d’un congrès de l’UNI (syndicat d’étudiants apparenté à l’extrême droite), dans une salle de l’Assemblée nationale, en présence de monsieur Longuet, ministre de la défense, et du député UMP Éric Raoult entre autre [1]. Voici son intervention...
- - - Dernière (14-02-2012) Suite aux milliers de signatures des pétitions levées en faveur du député critique, et à l’engagement inconditionnel des députés d’outre mer prenant l’avant-garde de la gauche républicaine radicale par leur déclaration, la commission de l’Assemblée Nationale a décidé que Serge Letchimy ne serait pas sanctionné.


    Monsieur le Premier ministre,

     Nous savions que pour M. Guéant, la distance entre « immigration » et « invasion » est totalement inexistante, et qu’il peut savamment entretenir la confusion entre civilisation et régime politique.
Ce n’est pas un dérapage !
C’est une constante parfaitement volontaire !
En clair : c’est un état d’esprit et c’est presque une croisade !
La preuve c’est qu’il vient de s’autoproclamer protecteur d’une civilisation supérieure, la civilisation française, en déclarant du fond de son abîme, sans remords ni regrets, que « toutes les civilisations ne se valent pas ». Que certaines seraient plus « avancées » ou « supérieures » à d’autres.
Non, monsieur Guéant, ce n est pas du bon sens » !
C’est simplement une injure faite à l’homme !
C’est une négation de la richesse des aventures humaines !
Et c’est un attentat contre le concert des peuples, des cultures et des civilisations !
C’est triste de devoir le rappeler ici :
Toutes les civilisations ont déployé d’une manière égale des ombres et des lumières !
Aucune civilisation ne détient l’apanage des ténèbres ou de l’auguste éclat ! Aucun peuple n’a le monopole de la beauté, de la science, du progrès, et de l’intelligence !
Montaigne disait que « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ».
J’y souscris.
Et j’ajouterais que chaque culture, chaque civilisation, dans sa lutte permanente entre ses ombres et ses lumières, participe à l’humanisation de l’homme !
Mais vous Mr Guéant, vous privilégiez l’ombre !
Vous nous ramenez, jour après jour, à ces idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration, au bout du long chapelet esclavagiste et colonial.
Monsieur Guéant le régime nazi, si soucieux de purification, si hostile à toutes les différences, était-ce une civilisation ? La barbarie de l’esclavage et de la colonisation, portée par toute la chrétienté, était-ce une mission civilisatrice ?
Il existe, M. le Premier Ministre, une France obscure qui cultive la nostalgie de cette époque.
Mais, il en existe une autre : celle de Montaigne, de Montesquieu, de Condorcet, de Voltaire, de Schœlcher, de Hugo, de Césaire, de Fanon, et de bien d’autres encore !
Une France qui nous invite à la reconnaissance que chaque homme, dans son identité et dans sa différence, porte l’humaine condition, et que c’est dans la différence que nous devons chercher le grand moteur de nos alliances !
Vos déclarations ne sous-tendent pas une stratégie, un calcul politique médiocre et pitoyable.
Votre seul but, Mr. Guéant, au mépris de l’éthique la plus élémentaire, c’est de vous servir de la récupération des voix du front national pour tenter d’installer une idéologie douteuse.
C’est un jeu dangereux !
Un jeu ignoble qui vous a déjà anéanti mais qui nous insulte tous ! Alors monsieur le premier ministre : Quand, mais quand donc votre ministre de l’intérieur cessera t-il de porter outrageusement atteinte à l’image de votre gouvernement et à l’honneur de la France ?

Serge Letchimy
Député de la Martinique

Source Martinique France-Antilles

Le logo est une capture iconographique d’une carte schématique des Antilles extraite du site golftrotter.com.


Ndlr :
SIGNER EN LIGNE LA PÉTITION POUR SERGE LECHTIMY

P.-S.

Lettre ouverte à Claude Guéant 6 février 2012

Objet : Vos déclarations sur les civilisations
N/réf : CAB/SL/JFL/SN/N°2012

LETTRE OUVERTE A M. CLAUDE GUEANT, MINISTRE DE L’INTERIEUR

M. le Ministre,

Votre venue en Martinique dans les jours qui viennent, m’oblige à vous rappeler que cette terre a vu naître Aimé Césaire, Frantz Fanon, Edouard Glissant. Qu’elle a été aimée par des hommes aussi admirables que furent Victor Schœlcher, André Breton, Léopold Sedar Senghor, Claude Lévi-Strauss, et de manière plus proche encore, par Léopold Bissol, Georges Gratiant, ou Camille Darsières, pour ne citer que quelques-uns de nos grands politiques.

Ces hommes furent de grands humanistes. Leur vie et leurs combats se sont situés en face de ces crimes que furent la traite, l’esclavage, les génocides amérindiens, les immigrations inhumaines, ou la colonisation dans tous ses avatars… Tous ont combattu la pire des France : celle qui justifiait les conquêtes et les exploitations, et bien d’autres exactions dont les cicatrices sont inscrites dans nos paysages. Cependant, je n’ai jamais entendu un seul de ces hommes lister ces attentats pour décréter que la civilisation européenne, ou que la culture française, serait inférieure à n’importe quelle autre. Je ne les ai jamais entendus prétendre que le goupillon de la chrétienté (qui a sanctifié tant de dénis d’humanité) serait plus primitif que tel bout liturgique d’une religion quelconque.

Toujours, ces hommes ont établi la distinction entre cette France de l’ombre et la France des lumières. Pour combattre l’ombre qui menaçait leur humanité même, ils se sont référés à la France de Montaigne, de Montesquieu, de Pascal, de Voltaire, de Condorcet ; à celle qui s’est battue pour abolir la traite, puis l’esclavage, qui a supprimé la peine de mort du code de ses sentences ou qui a accordé aux femmes le droit de vote et celui de disposer de leur maternité… A s’en tenir à votre logique, ils auraient eu mille raisons de condamner la civilisation occidentale, et de renvoyer aux étages inférieurs bien des cultures européennes.

Voyez-vous M Guéant, vos chasses à l’immigré (qu’il soit en règle ou non), ou la hiérarchisation que vous célébrez sans regrets ni remords entre les cultures et les civilisations, vous ont enlevé la légitimité dont a pourtant besoin votre prestigieuse fonction. Vous portez atteinte à l’honneur de ce gouvernement, et à l’image d’une France qui visiblement n’est pas la vôtre, mais que nous, ici, en Martinique, avons appris à respecter.

Toutes les civilisations ont produit, et de manière équivalente, des ombres et des lumières. Mais si les ombres n’ont jamais triomphé très longtemps, si beaucoup d’entre elles ont disparu dans les oubliettes de l‘histoire (en compagnie de régimes politiques ou religieux quelque peu lamentables), c’est simplement parce que des hommes de bon sens, pétris d’humanisme et de haute dignité, ont exalté les parts lumineuses que toutes les civilisations de l’homo-sapiens ont mises à notre disposition.
Les civilisations se sont nourries de leurs lumières mutuelles pour mieux combattre leurs propres ombres. Dans une transversale célébration et de grande foi en l’Homme, ces hommes ont honoré les lumières d’où quelles viennent ; les lumières se sont reconnues entre elles ; leurs signaux réciproques ont conservé intact (de part et d’autre des lignes de partage ou de conflit) un grand espoir d’humanité pour tous. Grâce à eux, nous savons qu’il est dommageable de considérer l’ombre, ou de s’en servir à des fins qui ne grandissent personne. Ils nous ont donc appris à nous écarter de ceux qui l’utilisent, et qui, par là même, la transportent avec eux.

M. Guéant, fouler le sol martiniquais, c’est toucher une terre que des hommes comme Aimé Césaire ont fécondé de leur sang. Un sang qui s’est toujours montré soucieux de l’humanisation de l’homme, du respect des civilisations et de leurs différences.

Ce serait donc comme une injure à leur mémoire, à leur pensée, à leurs actions, que de vous laisser une seule minute imaginer que vous serez le bienvenu ici. C’est par-dessus vous, et du plus haut possible, que nous renouvelons à la France des lumières toute notre considération, et confirmons notre respect pour les valeurs républicaines qui, contrairement à celles dont vous êtes le héraut, sont à jamais très opportunes chez nous.

Serge Letchimy

Source Ras l’front Isère


Ce courrier a été suivi d’une confirmation de tous les députés antillais excepté celui de l’UMP que le ministre ne soit pas davantage bienvenu dans leurs circonscriptions et d’un soutien de tous les députés de gauche ultramarins sans exception, à Serge Lechtimy, parmi lesquels le député réunionnais quoi qu’il n’ait pas la réputation d’être son ami. Voici l’intégralité du courrier des "Députés d’Outre-mer au Président de l’Assemblée Nationale" :

Paris, le 11 février Monsieur le président,

La prochaine réunion du bureau de l’Assemblée nationale aurait été avancée au 14 février, alors que celle-ci était prévue le 22, dans le seul but de statuer sur le "cas" de notre collègue député de la Martinique, Serge Letchimy, en vue de lui infliger une sanction à la suite de la question qu’il a posée le 7 février au ministre de l’Intérieur.

Aucune sanction ne nous paraît devoir être prononcée.

Nous, députés de tous les outre-mers, nous considérons en effet que rien dans les propos de notre collègue ne vient étayer l’interprétation qui en a été faite par le Gouvernement et le groupe majoritaire.

Serge Letchimy n’a jamais traité le ministre de l’Intérieur de « nazi », ni de promoteur des camps de concentration. Avec sa sensibilité, avec l’héritage politique qui est le sien, il rappelait une évidence sus la forme d’un syllogisme que les tourments de l’histoire humaine illustrent sans peine : si l’on attribue une valeur différente aux civilisations, si l’on cherche à les hiérarchiser en considérant que telle ou telle serait "supérieure" à une autre, alors le pire peut advenir et le pire, plusieurs fois, est advenu.

Dans les territoires de l’Outre-mer français dont nous sommes les élus et dont les liens avec la République se sont forgés le long d’un chemin tortueux, ces propos ont été ressentis comme une vieille blessure que l’on aurait cherchées à rouvrir. Les mots de Serge Letchimy ont été perçus comme la réponse que commandait notre dignité. S’il venait à être sanctionné pour cela, ce serait un terrible camouflet et une insondable humiliation que l’Assemblée nationale infligerait aux peuples d’outre-mer à travers son éminent représentant. Le coup serait sévère pour ce pacte républicain que, tous, nous défendons.

Monsieur le président, vous avez su faire preuve durant la législature de la hauteur de vue et de l’indépendance d’esprit nécessaires à vos fonctions. Nous voulons croire que vous saurez puiser dans ces qualités que nous vous connaissons, pour mettre un terme à cette mauvaise polémique.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le président, l’expression de notre respectueuse considération.

Victorin LUREL Jeanny MARC Christiane TAUBIRA Louis-Joseph MANSCOUR Alfred MARIE-JEANNE Annick GIRARDIN Patrick LEBRETON Chantal BERTHELOT Huguette BELLO

Source Martinique France-Antilles

Notes

[1] La source de l’information est la publication d’une note dans le journal des étudiants de l’école supérieure de journalisme, qui fut reprise dans toute la Presse après que les informations furent recoupées : « (...) Listant le bilan de son action place Beauvau, il aurait également abordé dans son intervention la place de la civilisation française : "Nous devons protéger notre civilisation" a-t-il affirmé avant d’ajouter : "contrairement aux socialistes, je pense que toutes les civilisations ne se valent pas." Des propos qui n’auraient pas du quitter le huit clos de cette salle de l’Assemblée Nationale. La presse est toujours interdite par l’UNI lors de cette "convergence" annuelle. Plusieurs militants de l’UNI ont confirmé les propos de Claude Guéant. »

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