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#OlivierHadouchi Mario Handler 1/2 : Présentation / Introduction

lundi 29 avril 2013, par Olivier Hadouchi

Cette présentation est le premier volet d’un hommage au cinéaste uruguayen Mario Handler, par Olivier Hadouchi. Leur entrevue compose le second volet sous le titre :

#OlivierHadouchi Mario Handler 2/2 :
Deux conversations / Two Conversations

(suivre le lien)



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Le réalisateur Mario Handler
Coloquio tras la proyección de ’Decile a Mario que no vuelva’
de Mario Handler

Madrid, Casa de América, le 11 mai 2012
dans le cadre de la célébration de l’Uruguay
à la Muestra de la Documenta
CC certains droits réservés Casa de América


Dans quelques mois, en France, nous allons sans doute célébrer ou plutôt nous souvenir d’un triste anniversaire lié à l’événement marquant qui se déroula le 11 septembre 1973, au Chili. Ce jour-là, le général Pinochet perpétrait un coup d’État contre un gouvernement de gauche démocratique (dit d’Unité Populaire) dirigé par Salvador Allende, qui préféra se suicider plutôt que de se rendre ou de capituler face à ses agresseurs. Toutefois, il est probable qu’un autre événement, aux moindres répercussions à l’échelle internationale mais pas à l’échelle nationale ni continentale, soit oublié : le coup d’État militaire en Uruguay, le 27 juin 1973, qui ouvrit une période de dictature non moins sombre, sur un peu plus d’une décennie (jusqu’en 1985).

Il paraît intéressant de se pencher sur le parcours d’un cinéaste uruguayen né à Montevideo en 1935, Mario Handler, qui a vécu en exil au Venezuela durant près de deux décennies [1]. Intéressant pas uniquement pour cela, car il est l’auteur d’un documentaire aux allures d’important témoignage sur la mémoire de la dictature en Uruguay, sur la manière dont elle a été vécue et ressentie par ses compatriotes restés au pays. Ce film s’intitule « Dis à Mario qu’il ne rentre pas » (Decile a Mario que no vuelva, 2008), référence aux propos de Mauricio Rosencof [2] pendant sa détention, pouvant tout juste susurrer à l’intention de son épouse, venue le visiter au parloir, ces quelques mots : « Dis à Mario qu’il ne rentre pas », afin qu’elle transmette à Mario Handler qu’il ne revienne surtout pas en Uruguay — où il risquait de se faire arrêter. Dans ce documentaire, Mario Handler, sans renier ses convictions mais sans sectarisme, donne à la fois la parole à d’anciens Tupamaros, à d’anciens agents de la répression (de l’armée et de la police), qu’ils aient accepté ou refusé d’avoir eu recours à la torture, à des personnes comme le musicien engagé Mauricio Vigil [3], le romancier Carlos Liscano [4], arrêté en mars 1972, avant le coup d’État, les dirigeants Tupamaros Jessie Macchi, Mauricio Rosencof (déjà cité) — tous les deux prisonniers-otages, durant la dictature.

A bien des égards, le parcours de Mario Handler semble exemplaire de cette génération issue des classes moyennes qui accède à l’université à la fin des années 1950 et dans les années 1960, comme le rappelle la sociologue Polymnia Zagefka [5], et qui prend conscience des profonds blocages présents dans les sociétés latino-américaines. Soit une jeunesse qui se radicalise progressivement, avec cette profonde volonté, cette aspiration au changement qui donne lieu à diverses formes d’engagement. Ces années-là, le cinéma d’auteur (notamment avec Glauber Rocha, Ruy Guerra, parmi les plus talentueux) et le documentaire militant ou critique (avec Fernando Solanas, Mario Handler, parmi les plus remarquables), s’emparèrent sans ambages de ces questions — de nombreux cinéastes de cette génération seront contraints de s’exiler durant les dictatures, certains seront assassinés au Chili ou en Argentine.

Le parcours cinématographique de Mario Handler commence avec quelques courts-métrages, parmi lesquels « Carlos, ciné-portrait d’un vagabond à Montevideo » (Carlos, cine-retrato de un “caminante” en Montevideo, 1965) où il appréhende la ville, la capitale uruguayenne, par le biais des déambulations d’un vagabond nommé Carlos. Au gré des rencontres, des errances de Carlos, le spectateur le suit et le film dégage une impression profonde de liberté ; rien ne semble avoir été préparé à l’avance, et la caméra de Mario Handler — toujours subtile et très attentionnée — parvient à trouver la juste distance pour filmer Carlos et ses amis avec beaucoup d’empathie, sans paternalisme ni voyeurisme, et sans rien perdre de leur spontanéité. En 1966, il co-réalise « Élections » (Elecciones) avec Ugo Ulive, analyse judicieuse et ironique d’une campagne électorale à la ville et à la campagne, avec sa théâtralité, son lot de démagogie et de mensonges, — sans doute l’une des meilleures descriptions d’une élection en Amérique latine, avec Maranhão 66 ou Terre en transe (tous deux signés du brésilien Glauber Rocha en 1966-67), ou « Mexique, la Révolution congelée » (Mexico la revolución congelada, 1970) de l’argentin Raymundo Gleyzer. À propos de ce film, dans un entretien avec Julianne Burton [6], l’uruguayen Mario Handler se souvient : « Au festival de Leipzig, on buvait de la vodka avec son aimable directeur, et j’ai eu envie de lui demander pourquoi ils refusaient des films comme Elecciones, par exemple. Le directeur a clairement dit qu’ils n’acceptaient pas les films en dehors de la ligne de la coexistence pacifique, ligne fixée par le camarade Nikita Khrouchtchev, et qu’ils n’accepteraient pas les films guévaristes, trotskistes ou anarchistes [7]. »

Peu avant l’événement français de mai 68, dans son film « J’aime les étudiants » (Me gustan los estudiantes, 1968), Mario Handler confronte des prises de vues d’une tumultueuse manifestation anti-impérialiste à Montevideo, avec les images de la visite officielle du président Lyndon B. Johnson dans le pays. Accompagné d’une célèbre chanson éponyme, Me gustan los estudiantes le film devient rapidement un classique du cinéma d’agitation. Fernando Solanas et Octavio Getino le citent comme un document exemplaire, dans leur fameux manifeste « Vers un troisième cinéma » (Hacia un tercer cine paru en 1969) — parce qu’une projection de ce film a provoqué une manifestation qui s’est ensuite transformée en émeute. De nos jours, « J’aime les étudiants » paraît annoncer les images des rassemblements altermondialistes de type anti-G8, à ceci près que Mario Handler avait été en mesure de filmer du point de vue des manifestants tout en ayant accès à la rencontre des chefs d’États (qui en réalité s’était déroulée quelques mois avant) :

« Me gustan los estudiantes, la première fois que je l’ai vu, j’ai eu le même doute. Mais tout est là. Le film est intègre. Il est auto-financé, c’est-à-dire financé avec le salaire de pipeau du gestionnaire. Et j’ai compris que les films d’acétate de l’époque coûtaient — coûtent — une fortune. C’est ainsi que Handler commença à faire des courts métrages avec un haut contenu social. (Continuez à faire des films avec un contenu social) » — aux lecteurs de la page : « Merci d’écrire ! » Youtube JAVILACO1


Dans de nombreux entretiens, il évoque le montage de ce film, à la lame Gillette, comme il ne disposait ni d’appareil à couper la pellicule ni de salle de montage. Pourtant, si un autre cinéaste-théoricien latino-américain, le cubain Julio García Espinosa, auteur en 1969 du manifeste Pour un cinéma imparfait [8] releva le caractère exemplaire de Me gustan los estudiantes — sans le citer nommément, il évoque un film tourné « dans les rues agitées de Montevideo », –– Mario Handler quant à lui exprima toujours des réticences à l’égard du manifeste du « Cinéma imparfait », comme à l’égard du « Troisième cinéma » cher à Fernando Solanas et Octavio Getino.

Mario Handler est présent lors des rencontres de Viña del Mar, en 1967 et en 1969, qui servent à réunir de nombreux cinéastes, membres actifs et pères du « Nouveau Cinéma Latino-Américain », tels Jorge Sanjinés, Fernando Solanas, Octavio Getino, Santiago Álvarez et d’autres, — et bien sûr Mario Handler lui-même. À cette époque, le cinéaste chilien Raoul Ruiz est attiré par le cinéma de fiction et cherche une alternative — sans rechercher à pratiquer un cinéma commercial, — différente du modèle de cinéma militant proposé par Solanas et Getino. Ainsi, en 1970, Mario Handler en tant qu’opérateur accompagne Raoul Ruiz à la rencontre des Mapuches [9], pour le tournage de « Et Maintenant, Nous Allons T’appeler Frère  » (Y Ahora Vamos a Te Llamar Hermano)... Le gouvernement de l’Unité Populaire au pouvoir depuis juin 1970 parvint-il à intégrer les Mapuches ? — le coup d’État trancha la question de manière autoritaire [10]. À l’instar de plusieurs autres artistes et intellectuels engagés fuyant la répression des dictatures d’Amérique du sud réfugiés en Europe, Raoul Ruiz obtiendra un statut de réfugié politique en France dont il adoptera la nationalité [11]. Ce film a été retrouvé puis restauré récemment, avant d’être projeté lors d’une séance spéciale au Festival de Venise en septembre 2012, dans le cadre de l’hommage rendu à Raoul Ruiz, mort en 2011, au mois d’août.


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Olivier Hadouchi et Mario Handler à Berlin
Photo © Valentina Cristi
(Juillet 2012)


À la fin des années 1960, le cinéma uruguayen de Mario Handler est demeuré attentif aux questions sociales, ainsi le film « Le problème de la viande », (El problema de la carne, 1969). Dans un climat de crise généralisée en Uruguay il a poursuivi sa radicalisation commencée avec « J’aime les étudiants ».

Proche des Tupamaros, en 1970, Handler réalise avec l’aide de deux militants communistes (pour tenter d’éviter le piège du sectarisme), Liber Arce, « Se Libérer » (Liber Arce, Liberarse), où il effectue un rapprochement qui de nos jours pourrait dérouter le spectateur : il associe la répression en Uruguay avec celle du Vietnam, supposant un conflit d’égale intensité. Cette comparaison explicite est courante dans le cinéma engagé de l’époque, figurant le célèbre « Message à la Tricontinentale » de Ernesto Che Guevara, en 1967, où il appelait à « Créer deux, trois… de nombreux Vietnam » dans le monde [12]. Liber Arce, Liberarse (titre qui constitue un jeu de mots entre le nom d’une victime de la police, le militant communiste Liber Arce, et l’action de « Se libérer ») cite d’ailleurs les dernières phrases du discours de Che Guevara, en cherchant à montrer que les Tupamaros ont répondu présent à son appel. Doit-on considérer que Liber Arce fait l’éloge du sacrifice pour la cause de libération [13], en dressant une sorte de culte du « martyr » tombé pour la cause — comme le Che à sa manière ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’une volonté de dénoncer la répression et le recours de plus en plus fréquent à la violence comme instrument dans la lutte politique ? Lors de nos conversations, Mario Handler a toujours affirmé sa préférence pour la lutte politique plutôt que pour l’option militaire, en expliquant clairement qu’il n’avait jamais été tenté par une ivresse du sacrifice ni par le nihilisme révolutionnaires. Néanmoins, à cause de son action au sein de la Cinémathèque du Tiers Monde (qui n’était pas une Cinémathèque au sens traditionnel du terme, mais un espace de production, comme une sorte de coopérative et de distribution), et à cause de la tension extrême tenace en Uruguay, il fut contraint de s’exiler, étant donnée son appartenance au mouvement Tupamaros. Beaucoup de ses camarades Tupamaros ou de la Cinémathèque furent arrêtés. Il quitta l’Uruguay la mort dans l’âme, pour rejoindre le Venezuela où il put tourner quelques films — aucun à propos de la dictature uruguayenne, tant le choc fût profond [14], — et il exercera des activités syndicales dans le domaine du cinéma.

Durant les années d’exil, l’heure des cendres et du désarroi succéda à l’heure des brasiers, à l’heure de l’utopie en marche vers le changement radical et du rêve éveillé en voie de concrétisation. Toutefois, comme le phénix — selon une belle et pertinente image employée par son épouse, — Mario Handler a su renaître de ses cendres, se reconstruire, reprenant sa caméra durant son exil au Venezuela puis lors de son retour en Uruguay, quelques années après la restauration de la démocratie. A l’aube du vingt-et-unième siècle, dans le contexte d’un pays redevenu démocratique, gouverné par d’anciens Tuparamos qui ont poursuivi leur lutte sous de nouvelles formes (le président José Mujica est d’ailleurs connu pour avoir su préserver ses conditions de vie très modestes et être demeuré proche de ses concitoyens), Handler tourne « À part », (Aparte, Uruguay, 2002). Avec ce film, il continue de s’intéresser aux marges et aux tréfonds de la société uruguayenne, en filmant le quotidien de quelques habitants survivant en périphérie de Montevideo, dans un univers âpre, ponctué de fêtes et de danses, d’errance et d’attente (du client, dans le cas de la jeune prostituée, d’une libération pour les jeunes délinquants, etc.). Aparte a provoqué des débats très animés dans son pays. Une fois de plus Mario Handler est parvenu à interroger sa société, plus morcelée et plus fracturée qu’il n’y paraît, de manière vivace et argumentée, en suscitant l’émergence d’une parole libre et volontiers contradictoire.

Le film « Dis à Mario qu’il ne rentre pas » [15] sort en 2008 ; ainsi, des années après, il constitue le précieux témoignage d’un ancien exilé qui donne la parole aux protagonistes de sa génération, tous ayant participé à l’histoire uruguayenne de la seconde moitié du XXe siècle, et parfois dans des camps opposés. Actuellement, Mario Handler vient d’entreprendre le tournage d’un nouveau film.

© Olivier Hadouchi (avril 2013)


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Mario Handler, Decile a Mario que no vuelva (2008)
L’Affiche du film pour sa sortie
(Source decileamario.blogspot.fr)



P.-S.


- En logo, CC certains droits réservés seven_resist : Local Tupamaros MVD — le local des Tupamaros à Montevidéo (janvier 2012). Source flickr.

Notes

[1] Ndla : hélas, il ne m’a pas été possible d’accéder aux films de sa période vénézuélienne, mais généralement considérés par la critique comme moins importants que sa production uruguayenne.

[2] Mauricio Rosencof est l’auteur de plusieurs ouvrages collectifs et personnels dont trois traduits en français (suivre le lien vers fr.amazon) ; ancien militant des jeunesses communistes puis membre et co-dirigeant des Tupamaros, il fut fait prisonnier et gravement torturé en 1972, puis après le coup d’État de juin 1973 il fut retenu parmi les otages de la junte militaire — menacés d’exécution extra-judiciaire immédiate en cas d’action des Tupamaros — dans des conditions particulièrement dures. Libéré en 1985 pendant la transition démocratique, il réside actuellement à Montevideo où écrivain et dramaturge reconnu il exerce également la responsabilité de directeur municipal de la culture.

[3] Récemment disparu en Suède, où il vivait avec sa famille après y avoir émigré dès sa libération, Mauricio Virgil avait fondé un ensemble musical dont faisait partie son ami musicien et photographe Fredrik Gille, qui lui rend un hommage photographique et musical, dans son site.

[4] Voir l’article éponyme de Carlos Liscano dans fr.wikipedia. En France, il est publié aux éditions Belfond.

[5] Polymnia Zagefka est sociologue et chercheure au Centre de Recherche et de Documentation sur les Amériques (CREDA), MCF — Université Sorbonne Nouvelle — Paris 3. Polymnia Zagefka, Sociologie de l’éducation en Europe depuis 1945, coll. Sociétés, espaces, temps, ENS-LSH Éditions, Paris (2002) ; avec Christine Zumello, Egalité, Inégalité(s) dans les Amériques, édition de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine, Paris, (2009).

[6] Cf. Cinema and Social Change in Latin America, — notre traduction.

[7] (1) Mario Handler, « Nadie había hecho cine sobre esta realidad », op. cit. — « En el festival de Leipzig, estábamos bebiendo vodka con su amable director, y a mí se me ocurrió preguntarle directamente por qué nos rechazaban películas como Elecciones, por ejemplo. El director dijo claremente que no aceptaban películas fuera de la línea de la coexistencia pacífica marcada por el camarada Nikita Jruschov, y que aceptarían películas guevaristas, trotzkistas o anarquistas. »

[8] Pour un cinéma imparfait, Texte de Julio Garcia Espinosa (Cuba, 1969). Source citylightscinema, Blog d’un cinéphile, (2013).

[9] « Les Mapuches, littéralement « Peuple de la terre » en mapudungun, sont les communautés aborigènes de la zone centre-sud du Chili et de l’Argentine, connues également sous le nom d’Araucans. » (source fr.wikipedia).

[10] Les entreprises forestières exploitaient plus de 1.525.000 hectares de terres dans la zone sud, soit 66 % de terres sous contrôle des Mapuches, habitants originaires de cette région, mais les titres de possession des entreprises furent légalisés par la contre-réforme agraire de 1973 du général Pinochet. Néanmoins, en 1998, la Cour inter-américaine des droits de l’homme, à Washington, accueille la dénonciation présentée par le « Conseil de toutes les terres » contre le gouvernement chilien, concernant la condamnation de 144 Mapuches pour occupation de terres et associations illégales, et reconnaît l’existence d’« irrégularités » dans le processus engagé contre les organisations mapuches pour violation de garanties constitutionnelles et des droits humains ; ensuite, des revendications persistent. (Source eurominority.org).

[11] En 1985 Raoul Ruiz est nommé avec Jean-Luc Larguier à la tête de la Maison de la culture du Havre par le ministre de la culture Jack Lang. Il assumera cette mission jusqu’en 1989.

[12] Op. cit., note 8, in Cinéma cubain et solidarité tricontinentale, et § Tercer Mundo, Tercera Guerra Mundial, Internationalisme et guerre anti-impérialiste, #OlivierHadouchi, criticalsecret.net.

[13] (2) Dans le cinéma latino-américain de l’époque, la fin de la première partie de « L’heure des brasiers » — La hora de los hornos, (1968), des Argentins Fernando Solanas et Octavio Getino, — constitue sans doute, avec son plan de quatre minutes sur le visage du cadavre d’Ernesto Che Guevara, l’apogée de cette sensibilité politique. Ici aussi, la tentative de rapprochement avec le Vietnam est omniprésente. Issue d’un ciné-club lié à l’hebdomadaire Marcha, la Cinémathèque du Tiers Monde a joué un rôle majeur dans la promotion et la diffusion du cinéma engagé et militant en Amérique latine. C’est un peu l’équivalent des Newsreels aux USA, des groupes Slon et Iskra co-fondés par Chris Marker en France, à ceci près que la Cinémathèque du Tiers Monde fut brutalement fermée peu avant l’arrivée de la dictature militaire en Uruguay.

[14] NdCS : Par « choc », l’auteur peut ne pas entendre seulement un trouble, mais plus largement un dispositif de pressions impératives, redoublant le traumatisme, qui installa les conditions du silence sur la situation politique en Uruguay, dans les films vénézuéliens de Mario Handler en exil. La prudence était alors requise non seulement pour la sécurité personnelle de l’exilé, par rapport à des polices secrètes infiltrées, mais encore pour la sécurité de ses camarades prisonniers dont certains retenus en otages tel Mauricio Rosencof, en Uruguay, (comme Olivier Hadouchi l’exprime ailleurs dans cet exposé). Tous étaient prévenus que ces prisonniers seraient exécutés sommairement en réaction dans le cas de recrudescence de la turbulence des Tupamaros. Une autre réserve s’imposait pour la protection des proches restés sur place sous la dictature et notamment la mère du cinéaste, très âgée ; il l’évoque dans sa conversation — second volet de ce thème dédié — avec l’auteur. Où Handler informe également sur son premier infarctus justement au Venezuela (autant dire s’il en subit davantage ensuite, trois en tout semble-t-il), et il a beau l’attribuer à la ville « stressante » de Caracas et à l’excès de tabac — condition aggravante du stress dans son cas d’exil, — aurait-il la pudeur de ne pas le dire autrement par respect pour ses camarades qui ne purent fuir et parmi lesquels ceux qui furent torturés et ceux qui disparurent. Quand lui-même put encore s’exiler. À travers ses propos sur les détails de sa vie on comprend de toutes façons les pressions et l’angoisse dont forcément il dût porter respectivement son lot.

[15] Op. cit.

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