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Tariq Ali : Le tireur pas si solitaire_The Not So Lone Gunman

mardi 13 mars 2012, par Tariq Ali

_____/ À Alkozai, village de la province de Kandahar, au sud de l’Afghanistan, durant la nuit de samedi à dimanche 11 mars, entre 2 et 3 h du matin, un soldat américain (et peut-être plusieurs également impliqués) est sorti de sa caserne pour aller commettre un massacre délibéré. Entrant dans 3 demeures différentes il a assassiné seize civils afghans, parmi lesquels une majorité de femmes, d’enfants, et des personnes âgées, certains brûlés dont des enfants, — selon le témoignage des journalistes de l’AFP qui se sont rendus sur place. Ce n’est pas la première fois, chaque année on connaît la répétition des crimes de guerre, accroissant les crimes ordinaires de l’agression contre la population, dans cette guerre dont rien ne perturbe qu’elle se poursuive. Tariq Ali dresse un portrait de la violence post-colonialiste inédite sous la seule forme d’une guerre d’occupation : cette guerre d’occupation des États-Unis et de l’OTAN en Afghanistan, qui ne finit pas, qui se présente comme si elle ne devait pas finir... Un autre colonialisme et sa violence sous les mots d’humanitaire ou de sécurité. (L. D.)

Le tireur pas si solitaire

 [1]

Dans la plupart des guerres coloniales des gens sont arrêtés, torturés et tués au hasard. Pas même une façade de légalité est jugée nécessaire. Le tireur « solitaire » américain qui a massacré des innocents en Afghanistan durant les premières heures du dimanche matin était loin d’être une exception. Car ce n’est pas l’acte d’un maniaque dérangé tuant des écoliers dans une ville américaine. Le tueur « solitaire » est un sergent de l’armée des États-Unis. Il n’est pas le premier et ne sera pas le dernier à tuer de cette façon là.

Les Français ont fait la même chose en Algérie, les Belges au Congo, les Britanniques au Kenya et à Aden, les Italiens en Libye, les Allemands en Afrique du sud-ouest, les Boers en Afrique du Sud, les Israéliens en Palestine, les États-Unis en Corée, au Vietnam et en Amérique centrale, et leurs succédanés se sont comportés de la même façon contre leurs propres populations à travers l’Amérique du Sud et une grande partie de l’Asie.

L’occupation russe de l’Afghanistan a également connu des « tireurs solitaires » avec le même mode de comportement, néanmoins plus instruits que la plupart de leurs homologues américains, après leur retrait ils allèrent écrire dans leurs journaliers angoissés les tenants et les aboutissants. Dans Afgantsy Rodric Braithwaite [2] rapporte les grandes lignes et le détail. Il n’existe rien de tel qu’une guerre « humanitaire ». Plus tôt ce fait est admis par les citoyens des pays occupés, plus vite il se trouve que leur mobilisation advienne, pour soutenir l’opposition aux aventures néo-coloniales et aux atrocités qui en découlent.

C’est un secret de polichinelle que la plupart des Afghans se soient opposés à l’occupation de leur pays. Les soldats de l’occupation sont bien conscients sur ce point. L’« ennemi » n’est pas caché. C’est le public. Donc, les femmes et les enfants qui essuient les plâtres font partie de la guerre. Les hélicoptères de combat, les avions bombardiers et les drones sont des tueurs plus efficaces que les hommes armés « solitaires ». La situation en Afghanistan aujourd’hui est si désastreuse que les forces d’occupation n’ont aucun moyen de savoir si les Afghans qui travaillent avec elles sont en fait de leur côté ou pas. Quelques-unes des récentes attaques contre les soldats américains et ceux de l’Otan sont venues d’Afghans portant des uniformes policiers et militaires fournis par l’Otan. Donc tout le monde est maintenant l’ennemi — même le président fantoche Hamid Karzaï, qui sait que ses jours sont comptés bien que lui, au moins, ait un refuge un peu sûr et des comptes bancaires numérotés qui l’attendent. Concernant les États-Unis, les contradictions sont implacables. Les Afghans veulent les voir dehors, et la guerre est devenue impossible à gagner.

Donc que faut-il faire ? Partir maintenant. Ces guerres qui déshumanisent « l’ennemi » déshumanisent aussi les citoyens des nations belliqueuses. Nous sommes faits en sorte de vivre dans un état d’ignorance, sauf que par notre apathie, en sorte de contribuer à assurer qu’un tel état des choses se poursuive indéfiniment. Le tireur individuel disparaîtra bientôt de nos pensées et alors nous pourrons nous rassurer sur les meurtres ordinaires qui ont lieu chaque jour, effectués collectivement sur les ordres des politiciens que nous élisons.

Tariq Ali

Source :Le Blog de Tariq Ali, The Not So Lone Gunman, © London Review of Books.

Traduction rapide de Louise D. pour www.criticalsecret.net

Voir en ligne : Interview parmi la population d’Alkozai (Vidéo, Yahoo)

Notes

[1] A « lone gunman » est un terme qui désigne un tireur « solitaire » antisocial ou fou, ce n’est pas un « sniper » — le « tireur isolé » en terme militaire (ou policier), — ni un tueur à gages, qui agissent seuls mais pour le compte d’une organisation criminelle éventuellement politique, ou d’une armée secrète, ou même par contrat mafieux de particulier à particulier. Par exemple, toute la question de l’acte exterminateur de Anders Behring Breivik, le tueur multiple d’Oslo et de l’ile d’Utoya, le 22 juillet 2011 en Norvège, est de savoir s’il était lié ou pas à une organisation. C’était aussi le cas de Lee Harvey Oswald, considéré comme l’assassin du Président John F. Kennedy ; on sait depuis qu’il n’était pas un tireur solitaire, (au terme de l’enquête ils semblerait qu’il s’agît d’une stratégie avec plusieurs snipers) et d’ailleurs sans doute pas celui qui avait porté le coup mortel.

[2] Rodric Braithwaite, Afgantsy, ouvrage paru il y a tout juste un an chez Profile Book en Grande Bretagne ; on peut lire une recension dans The Guardian : http://www.guardian.co.uk/books/2011/mar/26/afgantsy-rodric-braithwaite-review.

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