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#McKenzieWark ÉPILOGUE : Entrevue de Brendan Byrne avec McKenzie Wark / Late Epilog : Integral Excerpt from Rhizome

Une histoire cavalière du situationnisme : Entrevue avec McKenzie Wark (traduction et notes commentées de criticalsecret).

vendredi 31 mai 2013, par
McKenzie Wark
, Brendan Byrne, criticalsecret (traduction-rédaction en français)

L e nouveau livre de McKenzie Wark The Spectacle of Disintegration : Situationist Passages Out of the Twenty-First Century [1] (sorti chez Verso le 7 mai aux États-Unis et au Royaume-Uni le 20 [2]) conclut sa non-trilogie d’écrits sur l’IS, qui a débuté avec 50 Years of Recuperation of the Situationist International [3] (Princeton architectural Press, 2008) et s’est poursuivie avec The Beach Beneath the Street [4] (Verso, 2011). Je me suis assis avec Wark pour discuter de la récupération et de l’application des tactiques de l’IS dans le paysage médiatique contemporain [5].

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D-printed Guy Debord action figures (2012)
Produced by McKenzie Wark,
design by Peer Hansen, with technical assistance by Rachel L.


Brendan Byrne : Vous êtes très franc sur l’intention de ne pas avoir voulu écrire une histoire de l’Internationale Situationniste du « grand homme », plutôt qu’assimiler des figures marginalisées ou oubliées. Pourtant, même si personne n’a été laissé de côté, The Spectacle of Disintegration se concentre sur Guy Debord, surtout dans la seconde partie du livre.

McKenzie Wark : Le positionnement depuis lequel j’ai commencé l’ensemble procédait simplement de mon obsession par deux textes tardifs de Debord, Panégyrique [6] et In girum imus et nocte et consumimur igni [7]. Je pense qu’ils constituent deux des textes, des textes d’avant-garde, et des poèmes en prose, les plus lumineux de la critique marxiste à la fin du XXe siècle. Il m’a fallu beaucoup de temps ne serait-ce que pour comprendre leur principe. Et ainsi tout cela s’est accru au long de plus de 20 ans, rien qu’à revenir sur ces textes et à essayer de concevoir un cadre pour les interpréter. L’ensemble du projet a été en quelque sorte de me conduire à écrire à leur propos. J’ai appris à lire le français en lisant ces textes. J’ai juste appris par moi-même. Et mon français est terrible. Je ne revendique pas d’être un érudit dans cette langue ni quoi que ce soit.

BB : La conception de l’interactivité du spectacle par Debord semble un peu limitée par rapport aux termes où nous sommes parvenus aujourd’hui. Je crois que vous faites référence à la conception qu’il en a, comme s’il s’agissait d’« une rue à sens unique ».

MW : Une des prémisses du « Spectacle de la désintégration », c’est qu’à l’ère de l’Internet il y ait le mythe du dépassement de la forme spectaculaire, mais en produisant de la rendre microscopique et de la diffuser dans tout le domaine des médias, de sorte nous avons maintenant des relations micro-spectaculaires plutôt qu’une seule et énorme vision macro-spectaculaire. Donc, si nous pensons à la vieille industrie de la culture, on était tous critiques, mais au moins ça nous divertissait bougrement ! On avait tous ces défauts dont a parlé Adorno, la réconciliation de la fin extorquée, l’équivalence de la valeur d’échange, mais au moins il nous était offert quelque chose tel que consommer. Nous sommes passés de l’ère de l’industrie de la culture à ce que j’appellerais l’industrie du vautour, des industries tel Google. Je veux dire, qu’ils ne font pas de la merde en termes de culture. Ils nous permettent simplement de nous rassasier de ce que fait quelqu’un d’autre. Et maintenant nous devons en outre nous divertir les uns les autres. Allons-y, faisons quelques vidéos de chat ! Donc, on ressent que d’un côté il y a l’externalisation de la production d’un truc, et de l’autre ce que j’appellerais l’internalisation de la production de l’affect. Ça devient le job de chacun, mais personne ne doit plus s’attendre à être payé pour ça. Si être une personne créative était ce que tu voulais faire de toi pour toute une vie, alors c’était toujours une lutte. Je ne sais pas si c’est devenu pire. Ce fut toujours terrible. Mais les conditions mêmes épouvantables changent à chaque évolution technique.

BB : Donc avons maintenant tous ces artistes et ces écrivains qui contrôlent la zone avec « nous voulons tout de même être payés pour faire ça ». C’est presque comme exporter la fétichisation [8]. Ou encore : ne pourrions-nous revenir aux années 1970 où l’on pouvait faire un bon sang d’enregistrement pour se faire de l’argent.

MW : Ouais, eh bien, personne n’a jamais vraiment fait de l’argent. Ce n’était qu’une petite poignée de personnes. Le mythe de ce qui tend à laisser de côté la vraie vie de travail des musiciens et des écrivains. Nous procédons à faire le point sur quelques personnes qui l’ont rendu profitable et à les fétichiser. Il convient de se demander : ainsi, serions-nous maintenant en faveur de la marchandisation de la culture ? Est-ce nécessairement une mauvaise chose ? À certains égards, ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose que d’avoir un boulot à plein temps. Il y a une part de notre esprit et de notre vie qui est complètement distincte. La mouche dans ce tableau est que ça nécessite beaucoup de travail affectif quelle que soit la version du capitalisme. On est censé être investi dans le cartel et ses produits. On voit des gens dans les cafés qui sont devenus la marque dont ils parlent en la défendant et on est pareil, l’homme triste. Les situationnistes ont mis cela à l’ordre du jour. Ils n’avaient pas forcément les réponses. Par exemple : l’idée du détournement, que l’ensemble du passé culturel soit un bien culturel commun qui appartienne à chacun d’entre nous et d’où l’on puisse extraire à volonté — mais en le corrigeant dans le sens de l’espoir. Il y a un plagiat dans le geste de corriger. Ils pensaient à ce genre de choses déjà dans les années cinquante, et maintenant c’est partout. Nous savons que tous des grands textes de Debord ont fortement plagié. Il y a une anticipation de celle de l’ensemble de la culture du remix, mais aussi une critique de celle-ci. Simplement mélanger la merde ensemble ce n’est pas le faire. Depuis les journées dépeintes dans Mad Men [9] l’industrie publicitaire a fait ça. Nous devons faire en sorte de révéler que la culture est vraiment un bien commun. C’est dans ce sens que Debord parle de l’heure actuelle, même si les outils dont il s’est servi sont aujourd’hui obsolètes.

BB : Des bots de remix comme @KimKierkegaardashian paraissent accomplir le détournement sans intervention de la conscience humaine.


MW : Je l’ai suivi pendant un certain temps, il est hilarant [10]. En quelque sorte j’adore ce truc parce que c’est tellement révélateur. Le versant de la culture qui est vraiment une machine de réorientation automatique géante. Pouvez-vous construire un robot qui par exemple pourrait construire des phrases ? Et ensuite agiter ça dans l’espace dont c’est le négatif, la critique de la pratique même ? Pouvez-vous créer des protocoles utilisant un moteur de recherche pour générer une langue ? Voilà qui révèle exactement la grande mer de poison dans laquelle nous nageons.

BB : Que tirer de tous ces scandales récents sur le copyright, comme ceux ayant impliqué Jonah Lehrer et Quentin Rowan [11], qui n’ont pas même essayé de recourir aux arguments sur le jeu facile de la propriété intellectuelle. Rowan aurait pu faire simplement une sortie du genre : « je suis un enfoiré comme vous l’êtes, les gars ».

MW : C’est une honte. Ici La Société du Spectacle est une prose vraiment brillante. Il y a des pans entiers de toutes sortes de choses qui ne sont même pas totalement digérées. Du même ordre que se mettre soudain à lire comme du Hegel traduit en français. C’est parce que c’est exactement ce que c’est ! Ou dans les films de Debord après que Gérard Lebovici soit devenu son sponsor. J’ai interrogé Martine Barraqué, la monteuse de ce film de Debord. Elle a expliqué que toutes les séquences d’actualités, on peut simplement les acheter, mais pour les longs métrages, ils ont juste radicalement menti sur ce qu’ils voulaient en faire. Ils ont échafaudé des tas d’histoires inventées, « Oh, je suis l’assistant de production d’un réalisateur américain célèbre qui voudrait voir quelques plans. Nous en avons besoin pendant trois jours... » Parce que c’était le temps qu’il fallait prendre pour copier le fragment d’un long métrage, donc ça a pu être collé dans La Société du Spectacle ou autre. On ne peut que penser, hola, c’est juste rudement difficile et laborieux de voler ce genre de trucs hors des droits. Et Martine raconte comment ils ont dû entièrement construire les stocks des extraits de film par catégories [12]. Internet fait juste tout ceci pour vous maintenant, mais ils furent gentils d’inventer une méthode pour faire du remix de détournement le cinéma à partir de zéro [13]. Mais ouais, nous vivons toujours avec le mythe de l’auteur romantique, du créateur. L’idée que, bah, je l’ai fait avec mon propre travail donc cela doit être ma propriété. Donc, ouais, c’est comme nous et depuis quelle fichue armée avons-nous fait ça ? Le travail est toujours social et collectif. Y compris le travail qui produit la culture [14]. N’oublions pas tous les scandales d’historiens souvent très en vue dans l’écriture des sujets vraiment bien usés des États-Unis, qui ne peuvent pas même faire la différence entre leur propre prose et celle des autres. Et ça se présente comme, oh c’est un accident, j’ai juste oublié de mettre les guillemets autour. Eh bien, on est juste des révélateurs de ce que tout le bourgeois ayant pensé est identique à lui. On n’a jamais vraiment une idée, on la déplace juste un peu.

BB : Si l’IS a prisé la dissimulation quasiment jusqu’au point de la fétichiser, faire leurs analyses et leurs stratégies perd quelque chose dans une société où la dissimulation est devenue non seulement plus difficile à réaliser, mais presque indésirable ?

MW : Dans « Le spectacle de la désintégration » j’ai écrit à propos du travail de Alice Bercker-Ho, la veuve de Debord, sur le « gitan » ou plutôt le langage rom comme étant la source vernaculaire de l’argot de la pègre ou du verlan. Pas dans le sens d’un argot comme il apparaît dans le hip-hop, mais en termes de moyens à la fois de cacher et de désigner [15]. C’est une sorte de cliché de vivre parmi cette culture de la surexposition dans laquelle, si on essaye encore de sécréter une partie de soi-même, on aille attirer davantage l’attention des entreprises ainsi que l’application de la loi. Mais je pense qu’il y a des façons d’affirmer des choses qui soient intelligibles pour « ceux dans le secret » [16], pour reprendre une expression de Becker-Ho. Des façons d’être du public qui ne sont pas tout à fait ce qu’elles paraissent être. Cela me rappelle L’Importance d’être Constant d’Oscar Wilde. Nous savons maintenant que « Earnest » était de l’argot entre les homosexuels à la fin du XIXe siècle [17]. Alors ce qui me frappe, comme une sorte d’utilisation, c’est que l’on puisse occuper une place dans « Le spectacle de la désintégration », mais pas tout à fait à ce que l’on paraît. Et ce qui m’a frappé c’était comme le dernier espace possible. Parce que si on essaye de faire quelque chose en repli comme les neuf de Tarnac, on se fait arrêter. Et vraiment qui voudrait être Žižek ? Il ne peut y en avoir qu’un seul à la fois pour occuper un espace d’une certaine manière dans le spectacle la désintégration.

BB : Cette sorte de jeu avec cette chose, qui est dans le tout anonyme — avec un "a" minuscule, — ce combat entier pour être capable de créer une identité indépendante sur Internet et, pour prendre un cas extrême, d’être un troll afin de ne pas être exposé.

MW : Ce que j’ai appris des camarades du mouvement du travail avant aujourd’hui c’est : toujours supposer que l’on puisse être sous surveillance quand on y est pas. Il y a une certaine vanité dans le fait de supposer l’être. Donc, l’ensemble de nos déclarations doivent être en mesure de réussir l’examen. Debord a ce beau riff dans... — je crois que c’est dans Commentaires sur la société du spectacle, — où il dit : je n’ai pas abjuré une seule des déclarations que j’ai faites à la police, mais je n’en veux pas dans mes œuvres complètes en raison de scrupules formels. C’est génial. Donc, ces déclarations seraient acceptables comme des textes littéraires, si elles n’étaient pas rédigées par l’officier de police qui gâchât toutes ces phrases. On doit ressentir jusqu’à ces déclarations.

BB : La culture des Makers [18], et son miroir dans la production « artisanale », ne possèderait-elle pas des racines communes avec l’accent mis par l’IS, sur la production hautement conçue de revues gratuites et de livres au tirage limité ?

MW : Oui et non. On ne voudrait pas faire partie de l’ensemble de ce langage de la rupture technologique, qui est une pure idéologie californienne [Ndlr — The Californian Ideology (« L’idéologie californienne ») est un essai de Richard Barbrook et Andy Cameron publié en 1995 qui explore le « libertinage de la contre-culture » à l’œuvre dans la technoculture de Silicon Valley]. On ne voudrait pas trop se rapprocher de la Brooklynisation petite-bourgeoise en toute chose, de l’huile organique à 20 dollars pour la barbe. Mais, je pense, et pas seulement concernant les marxistes, que beaucoup de personnes ayant des prétentions à la théorie critique se sont énormément éloignées des pratiques de fabrication, or ne pas comprendre les technologies de production de notre temps est une grosse erreur. Savoir au moins comment on fait telle chose est un moyen particulièrement utile de comprendre ce qu’est une production, en quoi consiste ce travail. Donc, avec le lancement du « Spectacle de la désintégration », je fais une édition limitée de statuettes à l’effigie de Guy Debord imprimées en 3D, et on va libérer le fichier à imprimer pour que chacun puisse imprimer gratuitement le sien. Il y a quelque chose de vraiment intéressant dans l’impression 3D, mais c’est une technologie propriétaire. D’une part, elle permet un certain type de détournement, mais en revanche elle est déjà récupérée avant même d’être sur le marché. En fait j’ai vraiment croisé une MakerBot [19] sur mon chemin. Juste en bas de Houston, il y a une petite salle d’exposition là-bas, et ça m’a fait penser à l’Apple 2 avant le Mac. C’est à ce stade. Donc oui, je recommande vraiment que l’on fasse ce que Debord a fait dans ce sens. Il a appris comment produire des brochures. Il était vraiment bon dans ce domaine. Il était un bon rédacteur en chef et un bon directeur de production. Les douze opus de l’Internationale Situationniste sont vraiment de beaux objets fabriqués artisanalement.

BB : Est-ce que « l’économie de l’attention » est une sorte de corruption du concept de potlatch ?

MW : Le bulletin de l’Internationale Lettriste, Potlatch, ne fut jamais mis en vente. Il fut seulement remis à certaines personnes choisies et puis quelques autres personnes sélectionnées au hasard dans l’annuaire téléphonique. Apparemment, il aurait fini par être vendu dans les boîtes des bouquinistes le long du fleuve à Paris. Et le coût était très, très faible. Michèle Bernstein devait louer une machine à écrire et s’y mettre, — elle était la femme, elle a dû faire le travail physique, taper tous les textes, puis les dupliquer [20]. Mais cela posait déjà des questions sur les économies d’accès et d’attention. On est dans la période de l’après-guerre, il y a un mythe de la production des images et des histoires qui suggère de revenir au 19ème siècle, mais dans la même période le déluge de cette sorte arrive. Ils accordaient une attention aux stratégies de l’industrie publicitaire et cherchaient des moyens de créer un ouvrage soustrait par un autre type de temporalité. Une sorte d’invisibilité partielle à créer un genre différent de l’attention pour différentes personnes. Dans la tradition de la théorie critique, c’est vraiment tout à fait nouveau. Pour les futuristes et les surréalistes, il était encore trop tôt pour un spectacle. Les futuristes commencent en prenant une publicité en première page d’un journal. En 1909 c’est bien sûr possible. Mais je pense qu’il faut être prudent sur le fait que les stratégies de la quête d’attention de la vieille avant-garde ne puissent plus fonctionner dans la période de l’après-guerre.

BB : Selon The Economist, Les chercheurs de la Northeastern University de Boston ont développé un algorithme qui en se basant sur les dossiers du téléphone mobile d’une personne peut dire, avec une précision d’environ 93%, « où cette personne est à tout moment de la journée ». D’une certaine manière, cela paraît sauvegarder certaines des théories de l’IS.

MW : Certes, Debord a lu Paul-Henry Chombart de Lauwe [21], ce grand sociologue urbain, le premier qui tenta de tracer les chemins suivis par les gens, et Debord, avec les variations de La Critique de la vie quotidienne de Henri Lefebvre, a commencé une prospective dans ce sens. Maintenant, on a atteint ce point d’analyse en temps réel avec celui des applications qui fonctionnent presque exclusivement à nous vendre des trucs. Une des choses faites par les situationnistes c’était de chercher l’espace libre dans le Paris des années 1950, avec la présence massive de la police et la surveillance. Dans la division entre le temps de travail et le temps de loisir et de sa routine, il y avait encore une place pour jouer, à condition de vivre avec le slogan « Ne travaillez jamais » [22]. Eh bien, il n’y a plus aucune différence entre travail et loisirs. Il n’y a rien de tel qu’un loisir/non loisir. Nous travaillons tous, là, et pendant tout ce fichu temps. Mais quand on travaille, de toute façon la moitié du temps on déraille. Quiconque sait-il même quand toutefois il travaille ? Je parle de ce que les situationnistes appelaient le monde « surdéveloppé ». Je fais tout mon travail dans les cafés, et je vois des gens jongler constamment avec des trucs, que ce soit travailler ou pas, Dieu seul sait ce que c’est. Comme la grille se resserre, dans un certains sens cela devient plus diffus. Donc il ne s’agit pas de nier comment la géo-localisation est impliquée dans la surveillance ni que l’impression 3D soit en train de devenir propriétaire, mais de configurer ce que l’on peut produire au sein de l’espace de ces choses, qui suggère entièrement un autre monde.

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Paul-Henri Chombart de Lauwe, carte des mouvements
d’une jeune femme dans Paris, 1957


BB : Dans votre premier livre, Virtual Geography vous définissez les événements médiatiques globaux comme des « irruptions singulières dans le flux régulier des médias », et vous vous concentrez sur quatre d’entre eux, dont le krach de Wall Street de 1987 et la place Tiananmen. Pensez-vous que ces irruptions « singulières » soient encore possibles dans notre paysage médiatique actuel ?

MW : Oui ! Dans ce sens qu’ils ont été définis dans ce livre comme totalement imprévus par les récits des médias de l’époque. Et puis bien sûr, quelqu’un arrive et dit : « Oh, cet accident est comme le dernier ». Mais dans la rhétorique de l’époque, c’était impensable, tout comme en 2008 c’était pour tous impensable, sinon pour une petite poignée de gens. Donc, oui, je pense qu’il y a encore des interruptions dans le récit espace-temps, c’est une question de méthode. Dès qu’un événement médiatique mondial bizarre comme ça arrive, on commence par tout enregistrer, parce que quand les médias n’ont aucune idée de ce qu’est le récit, alors ils expérimentent avec toutes sortes de trucs bizarres, comme interviewer des gens fous qui n’apparaîtraient jamais autrement à l’antenne, spéculant arbitrairement et au hasard, et c’est ce genre de choses. Vous capturez cela et ça vous donne une fenêtre dans cette rupture de l’espace-temps narratif que le spectacle peut impliquer. Un des plus effrayants à travers lesquels je suis personnellement passé fut le 11/9. Des trucs vraiment extraordinaires à l’antenne. On a vu des gens sauter hors de ce p... d’immeuble. Vivre. Ce truc n’a jamais été montré à la télévision, jamais. L’événement a été réduit à deux ou trois images. Donc oui, je pense que la méthode fonctionne toujours. Ne me parlez pas de cette merde sur les révolutions Twitter, j’écrivais déjà à ce sujet dans les années 90 ! A propos de la façon dont les choses comme les télécopieurs avaient joué dans l’espace de la place Tiananmen. La première révolution Twitter a eu lieu en 1848, le télégraphe avait déjà commencé à modifier l’espace-temps dans lequel les choses se produisaient. Nous avons toujours le même débat ridicule, oh ce sont les nouveaux médias, et c’est comme si — non ? — les événements ne se produisaient qu’à cause des acteurs politiques. C’est une erreur de catégorie totale, il n’existe pas quoique ce soit comme de la politique en dehors des médias. Ou vice versa.

BB : Dans « Le spectacle de la désintégration » vous déclarez expressément que vous ne voulez pas nommer d’héritiers de l’esprit IS, mais cinq ans plus tôt au moment de « 50 ans de Récupération de l’Internationale situationniste », vous aviez cité un petit groupe, comprenant la Société Bernadette, DJ Spooky, et le Critical Art Ensemble. Je suis curieux de savoir pourquoi vous révisé votre position.

MW : Eh bien, sans affront à ces gens, mais rétrospectivement ça m’est apparu comme une mauvaise idée. N’importe qui peut « hériter » de l’esprit des situationnistes. Une des sources de l’ensemble de ce projet était que dans les années 90 je fréquentais une liste de serveur appelée Nettime, qui était un peu comme un media central pour toute une série de dispositions avant-gardistes. Je pensais que je voulais écrire à ce sujet, mais c’était trop rhizomatique, alors j’ai commencé par relire La Société du spectacle, quelque chose que toute personne impliquée avait probablement lu, et je me suis dit : « Bon sang, ça ne dit pas ce que je pensais qu’il y était dit ! » Alors j’ai été dérouté dans toute cette affaire. C’est encore un projet que je voudrais faire un jour. Il est beaucoup plus large que seulement un ou deux groupes, et ils ont tous leur place dans un sens, la Société Bernadette s’est repliée dans le monde de l’art, un peu précipitamment, je suppose. Le mythe dans le monde de l’art c’est que l’avant-garde ait disparu. Non, elle n’a pas disparu, ça n’a plus rien à voir avec le monde de l’art parce que lorsque l’art devient l’art contemporain, c’est juste une autre catégorie de la production marchande. L’avant-garde est maintenant liée aux médias et au design. Il existe toujours un projet en sorte de se reprendre de ces histoires, extraire ce qui est vivant de ce qui est mort, extraire les concepts, les rendre disponibles pour que les gens le fasse encore une fois. Les avant-gardes sont toujours extrêmement conscientes historiquement. Elles veulent simplement le nier en prétendant qu’elles ne se répètent pas.

BB : Considérez-vous que certains penseurs sociaux d’aujourd’hui qui s’opposent à l’âge du gadget, et ici je pense à des gens comme Sherry Turkle et Evgeny Morozov, surviennent du fond de l’IS ?

MW : Non, et l’erreur la plus courante consiste à confondre le potentiel de base de la technologie avec la forme actuelle de la technologie. Combien de fois avons-nous à faire la même vieille connerie encore et encore ? Tout ce qui est unilatéral et non-dialectique est franchement tout à fait inintéressant. Donc, ça va, vous n’aimez pas la technologie. La technologie c’est l’humain. Nous sommes l’espèce de la fabrication de l’outil. Il n’y a pas d’humain indépendant de son appareil d’outils. La question est : ces outils pourraient-ils ou non exister ? Absolument pas. Alors, comment peut-on réinventer le potentiel, l’ensemble des découvertes scientifiques et de leurs applications techniques, afin d’ouvrir la vie telle qu’elle puisse être autrement ? C’est la tâche critique. Il y a un échec absolu à effectuer le boulot critique par rapport à la technologie. Quelque chose du genre « Non, je n’aime pas l’iPhone. » Eh bien, qu’est ce que vous aimez dans ce genre, alors ? Qu’est-ce que vous voulez ? Décrivez donc un autre monde. Décrivez-le-moi. Pour sept milliards de personnes. Il y a un type parmi les situationnistes qui a fait ça exactement, Constant Nieuwenhuys [23] Il a imaginé une toute autre planète basée sur la technologie du milieu du XXe siècle. C’est plus une performance conceptuelle qu’un vrai projet d’ingénierie, mais il ouvre une porte à la question posée comment, eh bien, comment re-ingénierez-vous les villes ? De sorte qu’elles soient sur-vivables, serait-ce un début mais mieux que. Nous pourrions vraiment supprimer le travail, vous savez ? Pas complètement. Mais nous pourrions vraiment le réduire à quelques heures par jour. Et alors, comment va ce projet ? On va manquer de main-d’œuvre pas cher finalement. ça ne peut pas durer éternellement. Il y a des signes montrant que la Chine a franchi un cap. Ils n’ont tout simplement plus envie de faire ces travaux d’usine ennuyeux. Très bien, alors nous allons exploiter le travail pas cher au Vietnam. Mais ça ne peut pas durer éternellement. Alors que s’ouvre la question sûr, et bien nous n’utilisons cette main-d’œuvre que pour la cause qu’elle ne soit pas chère, c’est tellement pas cher, d’asseoir là quelqu’un, toute la journée, avec un tournevis pour l’assemblage de ces jouets en plastique bon marché. Maintenant regardons tous ces jouets en plastique qui contiennent dix vis. Eh bien, ils sont seulement conçus pour avoir dix vis parce que c’est moins cher d’utiliser la main-d’œuvre que de concevoir la putain de chose pour que tout soit ensemble. Donc, à un certain point la technologie doit faire partie de la conversation critique. Et c’est là que la culture du hackspace, la culture du hacker, quelque chose comme la culture de l’invention maison, est incroyablement utile. C’est équiper les personnes ayant une connaissance de base sur la façon dont notre monde fonctionne réellement. Mais il faut ajouter la question de savoir comment ça pourrait mieux fonctionner, comment ça pourrait fonctionner différemment. Et en tant qu’intégralité, pas seulement « Je veux un meilleur gadget ». Quel serait le meilleur système ? C’est toute la question critique de la conception. La question centrale pour moi, c’est maintenant l’avant-garde du design.

BB : Une certaine souche de l’utopisme technologique, peut-être personnifiée maintenant par la figure du défunt Aaron Swartz, est pour l’aide technique à apporter à propos de la « culture ouverte ». Qu’en va-t-il de la contradiction de cette « culture ouverte » avec l’intérêt de l’IS pour la dissimulation ?

MW : L’histoire d’Aaron Swartz est tragique à plus d’un titre, mais vous devez vous demander quelle était la conscience politique de ses mentors en réalité. Dans le Manifeste du Parti communiste, Marx dit « quelles sont les forces du changement social ? » Ceux qui se posent la question de la propriété. Et Swartz l’a fait. Cela l’a plongé dans toutes sortes d’ennuis. Or je pense qu’il y a une sorte de dimension réformiste pour l’ouverture, mais il ya aussi une tentative de récupérer l’énergie d’un mouvement social qui a essentiellement décidé que toute la culture appartenait vraiment à tout le monde. C’est le partage de fichiers. Pour moi, c’est un des plus grands mouvements sociaux du début du XXIe siècle : « Ce sont mes rêves, ce sont mes désirs. Donc je les rapatrie merci beaucoup ». Et puis certaines personnes, pas toutes : « Oh, et puis je peux aussi bien partager avec tout le monde, parce que tout ça nous appartient à tous. Nous avons tous fait cela ! » Donc, il y a une remise en cause fondamentale de la relation entre le don et le produit, qui passe par là. Et c’est récupéré dans les structures industrielles. L’ensemble de ce que j’appelle la classe vectoraliste tente de re-marchandiser à un seuil différent. Google ne donne pas le cul d’un rat à posséder quoique vous y cherchiez. Il veut simplement vos données et vous vendre des ajouts basés sur ces données. Voici toutes ces informations gratuitement, vous pouvez les avoir, mais nous voulons que vous renonciez à plus d’informations que ce que nous vous donnons. Si vous le voyez comme un compromis politique entre le fait que l’information veuille être libre, mais partout enchaînée, c’est tout comme. Oh ! On va juste un peu réorganiser les maillons. Donc il nous faut une perspective historique du déplacement des frontières qui réponde au mouvement social. C’est le point crucial souvent absent de l’écriture populaire sur ce genre de choses.

BB : Il ya eu une sorte de deuxième vague de récupération époustouflante de l’IS depuis le milieu des dernières années. Que pensez-vous des mobiles de cette vague ?

MW : Il est difficile de dire si c’est un modèle ou si c’est aléatoire. Mais il y avait des tas de tentatives à la fin des années 80 pour raconter cette histoire. Il y a eu le fameux show de l’ICA de Boston et du Centre Pompidou [24], auquel de façon mémorable Debord refusa d’assister. Puis le livre de Greil Marcus est sorti. Au même moment l’IS a déclaré : « nos idées sont dans l’esprit de tout le monde ». Ils ont vraiment compris l’ennui du capitalisme de la marchandise. Alors qu’ils étaient confrontés à une phase antérieure à celle-ci, c’est toujours vrai. Il y a toujours quelque chose à propos de l’ennui dans la façon dont le produit répond imparfaitement au désir. Alors il est peut-être logique que ça parle encore aux gens. La veuve de Debord, Alice Becker-Ho, vient de vendre ses archives à la Bibliothèque Nationale pour une grosse somme d’argent, surprenante, si les rumeurs sont vraies. Elle a essayé de les vendre à Yale, je pense, sachant que cela provoquerait le gouvernement français à déclarer Debord « trésor national », ce qui signifiait que si le prix pouvait être quasiment égalé les manuscrits ne pourraient pas quitter le pays. Il y a une façon dont l’industrie du musée et l’industrie de la bourse exigent la rareté, des choses spéciales sur lesquelles se fondent des carrières entières. Vous devez maintenant aller à la Bibliothèque Nationale pour voir la version holographique de La Société du Spectacle de Debord. Je l’ai vu dans une vitrine, je n’ai jamais lu le manuscrit. « Les vrais savants » doivent travailler en présence de l’aura sacrée de la chose. C’est un peu ironique étant donné la nature de la substance. Une des raisons pour lesquelles j’aime enseigner l’IS est que tous les textes sont libres à la traduction sur Internet. Elle est partout et c’est fait par des amateurs, mais avec amour. Il y a donc une sorte de versant auto-muséologique pour les avant-gardes elles-mêmes. Les gens qui le créent sont des gens qui s’y trouvent. Ça, ou le sens qu’étant sans risque de pouvoir l’assimiler à un modèle canonique et après tout l’enseigner, maintenant que presque tout le monde est mort : je ne m’inquiète pas vraiment. Il y a deux histoires concurrentes. Il y a ce que j’appelle la basse théorie. Ce truc là fait maintenant partie de la haute théorie. Mais je ne pouvais vraiment pas m’en inquiéter moins que je ne l’ai fait. Mais pour autant, cette autre tradition de la théorie faible en a déjà décidé (faisant la différence), en sorte que ces choses demandent à être conservées, partagées librement, et données. J’en suis une partie prenante.

Brendan Byrne
avec McKenzie Wark


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P.-S.

Traduction annotée et commentée d’après l’article source de Brendan Byrne, A Cavalier History of Situationism : An Interview with McKenzie Wark, Rhizome, May 7th.

Pour mémoire :

- The Beach Beneath the Street by McKenzie Wark – review
Christopher Bray has his consciousness expanded by a lively history of the situationists (28 August 2011).

Notes

[1] « Le Spectacle de désintégration : Passages situationnistes dans le XXIe siècle » ; ouvrage non encore traduit en français.

[2] Actualisation au passé de l’expression « aujourd’hui » dans l’article original paru le même jour que de la sortie du livre aux USA, le 7 mai.

[3] « 50 ans de récupération de l’Internationale Situationniste » ; ouvrage non encore traduit en français.

[4] « La plage sous les pavés » ; ouvrage non encore traduit en français.

[5] Toutes les annotations proviennent de criticalsecret.

[6] Guy Debord, Panégyrique ; sous-titre « Tome premier », éd. Gérard Lebovici, Paris, 1989 ; sous-titre « Tome second », coll. Blanche, éd. Gallimard, 1993, Paris ; éd. Fayard, 1997, Paris. (On peut lire plusieurs articles de Ph. Sollers sur la littérature de Debord, dans son blog pileface.com)

[7] C’est précisément le texte d’intention devenu la bande son du film éponyme réalisé en 1978 — lequel a donc précédé l’édition. Celle-ci, Guy Debord, In girum imus nocte et consumimur igni, éd. Champ Libre, 1982, re-éditée par la veuve de Gérard Lebovici (assassiné en 1984), Floriana Lebovici, l’année de sa propre mort en 1990, sous le nouveau nom d’édition suggéré par Debord après la disparition de son ami, les Éditions Gérard Lebovici, (et par conséquent juste avant leur reprise sous le nom des Éditions Ivrea, puis le rachat des droits des livres de Debord par les Éditions Gallimard). En 1982 avait également paru aux éditions Champ Libre Ordures et décombres déballés à la sortie du film « In Girum Imus Nocte et Consumimur Igni ». Re-édition posthume chez Gallimard en 1999, accrue de Ordures et décombres, et annotée par Alice Becker-Ho, sous le titre In girum imus nocte et consumimur igni suivi d’ Ordures et décombres, dans la collection Blanche.

[8] i.e. la « fétichisation de la marchandise » est un concept marxiste de la dynamique relationnelle (dialectique) entre la production capitaliste, advenant en marchandise, les êtres (ouvriers et/ou consommateurs), et le système des rapports sociaux, par laquelle les êtres sont réifiés (« chosifiés »), et les choses personnifiées. Processus du système d’aliénation productive et sociale renforcé et réalisé par la consommation. (Karl Marx, Le Capital, tome premier, première section, La marchandise et la monnaie, chapitre I, point IV : Le caractère fétiche de la marchandise et son secret. (1867) ; pour lire l’ensemble du chapitre consacré à la marchandise, on peut se rendre dans le site source de la version en français le.capital.free.fr. La théorie de la réification dans le système de la marchandise de Marx est une des bases de l’hypothèse de La société du spectacle, (dérivée de la marchandise vers le spectacle) ; la pratique du détournement vise précisément le détournement de la réification des choses et des personnes dans la société capitaliste, et chez les situationnistes elle s’exprime principalement par la création des situations, dans une sorte de descendance généalogique en passant par toute expression artistique et littéraire, depuis les métagraphies lettristes « influentielles » jusqu’aux dérives urbaines dont c’est le lieu même de la confrontation sociale. Dérive selon une conception poétique du détournement de la réification socio-urbaine par la dérive sensible du promeneur oisif à l’acte même de la ville, conceptualisée, mise en pratique expérimentale et exprimée par Gilles Ivain. Michèle Bernstein l’évoque dans son roman Tous les chevaux du roi (lorsque que le nouveau venu se présente en oisif à ceux qu’il rencontre, qui lui demandent ce qu’il fait de sa vie, il répond qu’essentiellement il se promène et qu’il s’intéresse à la réification) : conception subversive de la flânerie qui sera récupérée emblématiquement dans la fondation textuelle du premier opus de l’IS.

[9] Mad Men (« Les hommes fous », jargon des publicistes concentrés à Madison Avenue dans les années 50 pour se qualifier entre eux), est devenu le titre d’une série dramatique de la chaîne de télévision AMC sur les agences de publicité et le mode de vie professionnel et privé des publicistes dans les années 60, considérée comme une reconstitution historique fidèle et ayant obtenu de nombreux prix à la qualité ; elle dure depuis 2007.

[10] Avouons ne pas avoir repéré précisément la source poétique ou philosophique chez Kierkegaard — philosophe entre autre ironique et sombre aux nombreuses manières de penser qui les représentait par des pseudonymes sous lesquels il les signait, — détournée par le bot @KimKierkegaardashian en cette phrase citée qu’il a construite.

[11] En 2012, il a été signalé que Jonah Lehrer avait auto-plagié cinq travaux qu’il avait présentés au journal The New Yorker. Ces cinq articles apparaissent maintenant sur ​​le site du New Yorker avec les notes de l’éditeur énumérant les lieux précédents des articles de l’édition, comprenant The Wall Street Journal, The Boston Globe, Wired et The Guardian. Une correction postée sur le site du New Yorker affirme que Lehrer a en outre déformé une citation source tirée d’un article d’un autre auteur. Lehrer a depuis présenté ses excuses pour la réutilisation de son propre travail. Quant à Quentin Rowan — propriétaire d’une librairie à Brooklyn qui écrit sous le pseudonyme « QR Markham », — en 2011, il a été découvert pour avoir largement plagié plusieurs auteurs dans son premier roman, Assassin of Secrets, une semaine après sa sortie aux Etats-Unis. Le roman de Rowan inclut des passages de John le Carre, Robert Ludlum, Christopher McCrary, Charles McCarry et des écrivains de la suite de James Bond Raymond Benson et John Gardner. Edward Champion, du blog en ligne « Reluctant Habits », a identifié près de trente-cinq sources différentes dans autant de pages du roman ; en plus des livres par les romanciers susmentionnés, des passages avaient été pris depuis des morceaux de fiction sur des sujets de l’Agence nationale de sécurité pour les années 1960. L’auteur Jeremy Duns, qui avait soutenu Markham en tant qu’écrivain, a raconté comment l’épisode était survenu. [...] Rowan, qui au moment de la publication avait signé un contrat pour deux livres avec Mulholland Books (une petite filiale de Brown and Company), a vu ce contrat annulé et son éditeur d’Assassin of Secrets retira l’ouvrage des librairies. (Source wikipedia, « List of plagiarism incidents »).

[12] L’expression de l’auteur est littéralement « banque de données » mais en français aujourd’hui cela confère aux banques de données numériques et ne paraît pas rendre compte de la fabrication artisanale du cinéma de l’époque, même si le terme de banque d’images pouvait être déjà utilisé indépendamment du numérique, pour des attributions extra-cinématographiques et notamment par les agences de photographie. Nous lui avons préféré le nom de « stock d’images » (ou de rushs, ou de stock-shots — extraits des stocks d’archives), qui était alors l’expression utilisée dans le métier. Sur le principe du rangement, c’était un principe ordinaire du montage que ranger par catégories tous les documents filmiques utiles ou en attente durant un montage (qu’il s’agît des rushes dépouillés plan par plan et regroupés par séquences avant d’être montés, — car les tournages n’étant pas produits chronologiquement par rapport aux découpages ou au script des films, des plans de diverses séquences pouvaient se trouver sur une même bobine, ils devaient donc être ré-ordonnés par rapport à l’écriture prévisionnelle, — ou associés par couleurs, ou selon d’autres thématiques ou provenances. Ils étaient soit suspendus superposés — accrochés par les perforations de la pellicule éventuellement avec les bandes de son de tournage, après les épingles de la barre transversale des « chutiers » (littéralement le support des « chutes », selon ce mot pour nommer ces fragments), — soit déposés dans des boîtes rondes (en réalité des boîtes de bobines en 16mm, ou en 35mm) pour les fragments les plus courts, soit roulés ensemble par affinités dans les boîtes les moins grandes et les plus profondes, et le détail comme le tout dûment numéroté au crayon blanc ou rouge directement sur la pellicule et selon le plan de travail, et re-titré sur des bandes adhésives apposées au dessus des couvercles des boîtes. Tout était classé pour pouvoir être trouvé facilement au moment du montage de la première continuité dont le résultat était nommé le « monstre » (à cause des plans mis bout à bout en temps réel des rushes), et ensuite pour les détails de raccord au moment du montage proprement dit. Sans doute la monteuse a-t-elle voulu signifier à l’auteur que la profusion des documents importés était telle qu’ils fussent traités comme le matériau de base du film en lui-même, où habituellement ce sont les documents de tournage excepté quelques inserts. Mais cela ne caractérise en rien de plus le montage du film de Debord, pour lequel tout paraît avoir été accompli selon le protocole méthodologique habituel, en tous cas ce classement des rushes d’archive. Peut-être que pour la première fois de sa pratique du cinéma, Debord fut confronté à une méthodologie professionnelle du montage, et la passion de la monteuse (une professionnelle du montage de films en amont de son travail avec Debord) ayant discuté avec lui pour trouver les concepts du classement, pour ce travail inhabituel quant aux ressources filmiques, ce fut pour eux un événement mémorable. Sur le langage lui-même, c’est le fait de l’avoir porté au niveau de la durée d’un long métrage dans un format compatible avec l’exploitation en salles qui a conféré à La Société du spectacle sa performance émergente, mais nullement son principe de collage et de détournement critiques, lesquels durant les années 60 et plus particulièrement durant les années Pop étaient largement pratiqués sous des formes brèves indépendamment de l’IS, après avoir été entre autres un des principes expérimentés dans les collages surréalistes et lettristes, et dans le cinéma lettriste, puis de l’underground, notamment en France et en Grande Bretagne où confluaient toutes sortes d’avant-gardismes médiatiques européens et sud-américains (portés par les réfugiés politiques) — tel celui de l’avant-garde Panic (confirmée en fondation en 1962 par Fernando Arrabal, Alejandro Jodorowsky et Roland Topor et dont faisait partie un des réalisateurs en vue de la télévision publique française, Jean-Christophe Averty — voir Panic Movement). Tendance d’un déconstructivisme pamphlétaire généralisé des avant-gardes modernes européennes de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècles, dans tous les domaines de la mode, graphiques, médiatiques, littéraires, télévisuels, architecturaux, ou même déjà intégré à titre de citation dans le cinéma de la Nouvelle Vague et de certains cinéastes américains connus (par exemple l’effet de snobisme de la double fin anachronique du film de Howard Haws Man’s favorite sport), vers une dilapidation joyeusement destructrice, dont le mouvement Punk sera l’ultime ironie systématique. Pour résumer, si les situationnistes ont « problématisé » le détournement comme une cohérence politique de la théorie et de la pratique, pour autant le détournement et le plagia critiques se « pratiquaient » de façon générale largement et en dehors d’eux ou de leur influence singulière.

[13] ibid.. À vrai dire ils n’ont rien inventé dans ce domaine l’auraient-il adopté comme langage spécifique au point que cela caractérisât en partie leurs actes, pas même graphiquement puisqu’il existait des métagraphies lettristes qui l’avaient déjà expérimenté et même des actes dadaïstes, entre autres ; par contre, ils ont bénéficié de l’adéquation de cette intention avec le protocole technique habituel du montage cinématographique, dont Debord avait une idée concrète, puisque ses premiers actes lettristes avaient été cinématographiques.

[14] À noter que la poésie ne soit pas obligatoirement de la culture, et qu’il ne s’agisse pas d’une question de propriété — la propriété étant une notion sociale. Sinon elle n’aurait pas de vie posthume au delà de la vie de ses poètes maudits, qui de leur propre temps sont généralement peu partagés — à leurs dépens et non selon leur désir.

[15] C’est aussi le cas de la langue inventée entre taulards dans les prisons. Il y a un équivalent de cette fonction vernaculaire dans la culture américaine c’est la langue des hobos — mais c’est une langue écrite de graffitis avec des pictogrammes, sans syntaxe et sans oralité.

[16] Alice Becker-Ho, The Language of Those in the Know, in revue Digraphe (1995) ; le texte original en français n’est pas publié en ligne, sans doute parce qu’il a été intégré à l’un des trois ouvrages de l’auteur sur le sujet. ibid..

[17] The Importance of Being Earnest, Comédie d’Oscar Wilde créée à Londres au St James’s Theatre, en 1895, traduite en français sous divers titres mais la première fois par Jean Anouilh sous le titre Il est important d’être Aimé, en 1954 ; en anglais earnest » (traduit en français par le prénom Constant), est un adjectif qui signifie fidèle, ou aimé, mais qui s’entend à la fois comme le prénom Ernest ; cette double consonance fut la désignation argotique adoptée entre les homosexuels pour se désigner entre eux par ce prénom phonétique dissimulé sous une visualisation orthographique trompeuse, dans une Angleterre victorienne qui non seulement ne tolérait pas cette préférence sexuelle, mais la réprimait comme une forme de criminalité (la sodomie étant interdite). D’ailleurs, Oscar Wilde, à la suite de cette pièce et de divers procès, fut condamné à deux ans de travaux forcés avant de venir définitivement habiter en France, où il mourut peu d’années après. Jusque dans l’après-guerre, en 1952, cette loi inique frappa encore le mathématicien et logicien Alan Turing, considéré comme le fondateur des ordinateurs et des logiciels actuels, qui avait aussi remarquablement servi son pays avec la machine à décrypter les codes de transmission nazis (la machine Enigma) — mais cela ne lui rendit pas grâce. Il fut condamné pour son homosexualité et pour échapper à la prison choisit la camisole chimique d’œstrogènes ; mais atteint de gynécomastie suite à ce traitement, il se suicida deux ans après.

[18] C’est la sous-culture des gens qui font le web et s’en inspirent et ou en produisent et en inventent.

[19] L’imprimante MakerBot Replicator 2 de Thingiverse.

[20] Michèle Bernstein insiste sur le fait qu’elle était la seule à savoir dactylographier, ce qui n’a plus guère de sens au temps de l’ordinateur où chacun sait au moins se débrouiller sur le clavier ; mais à l’époque ce n’était pas le cas, et en fait c’était aussi son travail car elle était employée comme comme secrétaire chez un éditeur ; elle était la seule à déjà travailler pour gagner sa vie et ses ressources personnelles contribuèrent à la cause collective. Guy Debord était alors pensionné par sa famille.

[21] Paul-Henry Chombart de Lauwe, (1918-1998) ; lire l’article nécrologique par Thierry Paquot dans Libération du 5 février 1998 : La disparition de Paul-Henry Chombart de Lauwe (1913-1998), anthropologue, pionnier de la photo aérienne et de la sociologie urbaine. Un intellectuel ciel à terre.

[22] En fait il s’agit de la devise de Jean-Michel Mension, aka Alexis Violet, reprise par Guy Debord à son propre compte, et d’ailleurs probablement graphée par Violet sur le soubassement de l’Institut pour et en présence de Debord, qu’il admirait, et qui le citait en exemple pour ses actes libres (notamment le vol de livres aux bibliothèques chez les amis, geste dont Debord avait instauré un protocole initiatique), avant qu’il fût exclu de l’Internationale Lettriste, comme Chtcheglov (aka Ivain) et d’autres dont symboliquement le fondateur du Lettrisme même, Isidore Isou.

[23] Constant, New Babylon (1954-1974), Laboratoire Urbanisme Insurrectionnel.

[24] École des Hautes Études en Sciences Sociales

Something You Should Know : Artistes et Producteurs Aujourd’hui Un séminaire conçu et organisé par Patricia Falguières, Elisabeth Lebovici, Hans-Ulrich Obrist et Natasa Petresin dans le cadre du CESTA/EHESS. Rencontre avec STEFAN ZWEIFEL Mercredi 7 mars 2007, 19H - 21H 96 Bd Raspail, 75006, Salle Lombard - RdC.

1989 fut l’année d’une première vague d’expositions consacrées à l’Internationale Situationniste par de grands musées d’art contemporain, en Europe et au USA. Sous le titre « Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps. A propos de l’Internationale Situationniste 1957-1972 », l’exposition organisée au Centre Pompidou par Mark Francis et Peter Wollen fut accueillie à l’ICA, à Londres, puis à Boston. Un bilan très critique de la réception du situationnisme par le monde de l’art fut tracé dans le n° spécial « Guy Debord and the Internationale Situationniste » de la revue October (79). Dans un article intitulé « Pourquoi l’art ne peut pas tuer l’Internationale Situationniste » l’historien d’art T.J. Clark et le traducteur américain de Debord D. Nicholson-Smith attaquèrent avec une verve pamphlétaire d’anciens situs non repentis l’effet de mode et l’esthétisation du situationnisme produits par le grand show itinérant. Sommes–nous sortis de cette polémique ? 2007 est l’année d’un nouveau grand projet d’exposition consacré au situationnisme. Stefan Zweifel a conçu avec Juri Steiner et Heinz Stahlhut une rétrospective I.S. riche de 400 pièces pour le musée Tinguely à Bâle — un musée qui porte le nom de l’une des cibles favorites des situ dans les années 50, dans une ville qui est le site de la plus grande foire d’art du monde. Où en sommes-nous du dépassement de l’art prôné par les Situationnistes ? Né en 1967, philosophe de formation, Stefan Zweifel est écrivain et vit à Zurich. Il a participé à l’exposition « SADE / SURREAL » au Kunsthaus de Zürich en 2001-2002 et livré la première traduction en langue allemande de Justine / Juliette, de Sade.

Biblio :
- Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps. A propos de l’Internationale Situationniste 1957-1972, Editions du Centre Pompidou, Paris 1989.
- Iwona Blazwick (ed.), An endless adventure ... an endless passion ... an endless banquet : a situationist scrapbook. The Situationist International selected documents from 1957 to 1962. Documents tracing the impact on British culture from the 1960s to the 1980s (ICA : London / Verso : London 1989).
- Elisabeth Sussman (ed.), On the passage of a few people through a brief moment in time. The Situationist International (1957-1972), Institute of Contemporary Art etc. : Boston MA 1990.
- October 79 (hiver 1997). L’article de T.J. Clark & D. Nicholson–Smith « Why Art can’t Kill the Situationnist International » a été traduit et publié par Égrégores Éditions, Marseille, 2006, sous le titre « Pourquoi l’art ne peut pas tuer l’Internationale Situationniste ».
- The Situationist International (1957–1972) - In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni, Musée Central d’Utrecht, Musée Tinguely, Bâle, JPR / Ringier, 2007.

Websites : http://www.tinguely.ch ; http://www.centraalmuseum.nl ; http://www.imaginarymuseum.org

Avec le soutien de la fondation FABA. (Source Noema)

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