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Hivernales : Et si la couronne du fou était un anneau de Möbius ? / Winter celebrations: What if the fool’s cap were a Möbius band?

Le jour du tirage des rois. Today is Epiphany or “Three Kings’ Day” [+ Imbolc]

Thursday 29 January 2015, by Pascal Baes, Sarah Gowen (translation) (Date of earlier publishing: 6 January 2013).


Des revenants du solstice d’hiver au chatoiement du carnaval le monde des hivernales est un grand désordre... Saturnales : voici le dimanche suivant le premier janvier, c’est le jour du tirage des rois, puis ce sera la clôture de la Chandeleur, vers les Lupercales...


[ Français / English ]


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Aï Suzuki
Capture d’écran © Pascal Baes
Feed Back at Schwelle 7, Berlin (2010)


                   On connait tous cette anecdote concernant la visite d’Alexandre le grand à Diogène, le corinthien philosophe empirique de l’école cynique, mort en avalant sa langue.

        Alexandre : « Que puis-je pour toi, Diogène ?         Demande-moi ce que tu veux, je te le donnerai. »

        Diogène : « Ôte-toi de mon Soleil. »

Il y a bien là un sens premier pragmatique en plus de l’ironie de Diogène [1] envers le maître du monde : L’orientation de l’habitat primitif est déterminée par son exposition au soleil, la valeur locative des appartements en ville aussi. Les pauvres n’ont souvent pas le choix, que de vivre dans l’ombre humide, dans des espaces mal exposés et thermodynamiquement mal conçus, sources de maladies, moisissures, humidité, et de gros écart de budget pour le chauffage et l’éclairage. Pourtant même les renards et les putois choisissent bien l’orientation de leur terriers. Avant même l’usage du feu, l’humanité se réchauffait au soleil, et tous les cultes anciens montrent une extrême connaissance des trajets des astres et des saisons.

On retrouve dans les Alpes encore des pierres-cadrans solaires qui servaient à déterminer le moment de la transhumance pour les peuples néolithiques. Il semble avéré que la porte de l’habitat jōmon [2] fût orientée de telle façon qu’un rayon de soleil arrivât pile sur le foyer au matin du solstice d’hiver (21 décembre), pour des raison peut-être mystiques, mais en tous cas bien pragmatiques : faciliter l’allumage ou la survivance du feu en séchant les brindilles et les fragments d’amadou, de fougères ou de tourbe. C’est bien encore un résidu du « conglomérat hérité » des religions sylvestres et des rituels protohistoriques lié à la certitude du retour des beaux jours que les religions dominantes successives durent assimiler, intégrer à leur mythologie, faute de pouvoir l’éliminer ou le sataniser.


Pascal Baes (performance vidéo) & Aï Suzuki (performance chorégraphique)
Répétition repetNKSFeedBackAtSwelle7 Closing days at Schwelle7, NKS prod, Berlin (2010) (Source vimeo)


Nakasawa dans ses Cahiers sauvages [3] utilise le modèle de l’anneau de Möbius pour expliquer le moment du retournement des valeurs durant les fêtes (matsuri) au Japon, où des esprits sous-terrains incontrôlables et chaotiques source de désordres se manifestent une fois l’an, et qui ressemblent à tant de pratiques antiques et moyenâgeuses, où la transgression bisannuelle (oreibasia, sabbat dionysiaque au milieu de l’hiver où toutes les femmes de Thèbes tombent en transe et se muent en Bacchantes [4]), ou annuelle (le pont des quolibets [5] entre Athènes et Éleusis où le petit peuple venait insulter, cracher et jeter des fruits pourris sur les notables de la ville), la fête des fous au début de janvier au Moyen Âge, les saturnales romaines à la fin de décembre, etc., justifient l’équilibre et la continuité du cycle annuel par un moment de transgression et d’inversion des valeurs.

Assimilée dans sa version papiste (catholique) la fête des rois hérite des rituels transgressifs hivernaux liés à la figure de l’anneau de Möbius : La vannerie, le tressage de fibres, sont des arts qui avaient déjà atteint leur complexité maximum au néolithique, et la figure de l’anneau de Möbius est un artefact élémentaire qui révèle de drôles de mystères. L’homme du néolithique, s’il ignorait les mathématiques n’ignorait pas la topologie des nœuds.

On à tous été surpris par cette expérience simple de raccorder un ruban de papier en anneau avec un bout de scotch après l’avoir retourné d’un demi-tour ; si l’on parcourt continument une face avec une pointe bic, après un tour on se retrouve exactement de l’autre coté du ruban, et si l’on continue encore un tour : on a parcouru toute la surface ; si on le fend en deux par le milieu sur la ligne ainsi tracée, grâce à une paire de ciseaux on se retrouve avec un anneau deux fois plus grand, et si on le fend encore en deux, on obtient deux anneaux qui passent l’un dans l’autre. Cette drôle de boucle où le dessous n’est qu’un moment du dessus, bretzel topologique qui lie le visible et l’invisible, le dedans et le dehors, a pu apparaître aux premiers bricoleurs comme la source mystérieuse de toutes les forces de torsions, de tous les équilibres de l’univers entre les forces opposées, de la cohabitation entre le visible et l’invisible. Imaginons le cycle des jours, des nuits, des saisons et de la vie et de la mort comme un anneau, une couronne chamanique d’herbes tressées — et le retournement cul par dessus tête des valeurs coutumières apparaît comme un moment magique pour maitriser des forces cachées, en les obligeant à remonter en surface.

La transgression, le retournement des valeurs est un moment festif de l’éternel retour. J’imagine une galette [6] « originelle » tournée comme un tore vrillé d’un demi tour, mais on a perdu cette dimension, on l’a aplatie...

L’homme moderne traite toujours avec mépris tant ses voisins les « barbares », que ses ancêtres les « primitifs », alors que les ignorants c’est nous. La musique moderne par exemple est un réductionnisme simpliste par rapport à la complexité des musiques antiques (cf. Xenakis, Musique de l’architecture). [7]
La simplification rend accessible aux masses décérébrées des concepts creux, vidés de leur savoir parce que les modes de transmission du savoir ont changé, et parce qu’un homme moderne au cerveau lavé de son conglomérat hérité est plus facilement dépendant et exploitable qu’un sauvage riche de savoir-faire pour survivre en auto-suffisance.

P. B.


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Aï Suzuki
Capture d’écran © Pascal Baes
NKS prod. Berlin (2010)



[ English / Français ]

Winter celebrations: What if the fool’s cap were a Möbius band? Today is Epiphany or “Three Kings’ Day” [+ Imbolc!]


From the ghosts of the winter solstice to the shimmering colors of Carnival, winter celebrations bring chaos ... It is the Sunday following the first of January. Today people in France celebrate Epiphany by eating King Cake.


Sunday, 6 January 2013, by Pascal Baes

Translation into English: Saturday, 1 February 2013, by Sarah Gowen


                   We are all familiar with the story about Alexander the Great visiting the famous Greek philosopher Diogenes, one of the founders of Cynicism, who killed himself by swallowing his tongue.

Alexander asked the philosopher, “What can I do for you, Diogenes? I’ll give you whatever you want.”

And Diogenes answered, “Stand out of my sunlight.”

While there is irony in Diogenes’ [8] reply to the ruler of the world, its original meaning is in fact quite pragmatic: The sun used to dictate the position of primitive dwellings, just like today it dictates the rental value of city apartments. Low-income people don’t have much choice: they often live in dark, damp places, poorly exposed and insulated. This is the source of illnesses, mold, and of major discrepancies among individuals’ heating and lighting budgets. After all, even foxes and ferrets make sure their burrows are well exposed. Long before fire was discovered, the sun was the only source of warmth, and this explains why all of the archaic cults had in-depth knowledge of the stars’ motion and of the seasons.

In the Alps, stone sundials were found that informed the Neolithic people when it was time for transhumance. The Jōmon dwelling [9] was oriented in such a way that, on the morning of the winter solstice (December 21st), a sunray would fall exactly on the hearth. This may well have been for mystical reasons, but definitely for pragmatic ones, too, as the sun would dry the twigs, fragments of tinder, fern or peat necessary to light or fuel the fire. Because they could not be eradicated, remnants of the "Inherited Conglomerate" from sylvan religions and protohistoric rites, that celebrated the return of longer and warmer days after the cold dark winter, were later grafted into subsequent leading religions, forming part of their mythology.

In his Cahiers sauvages, Nakazawa [10] takes the analogy of the Möbius band to explain the reversal of values that occurs during Japanese festivals (matsuri), where once a year, unruly and underground spirits appear to disrupt people’s life. These festivals closely resemble many ancient or medieval rites, such as the oreibasia, a bi-annual midwinter ceremony to celebrate Dyonisos, during which the women of Thebes entered into a trance and turned into Bacchae [11]; or the bridge [12] located between Athens and Eleusis, where once a year the common people came to insult, spit on and throw rotting fruit at city officials; or the medieval Feast of Fools that took place in early January; or the Roman Saturnalia at the end of December, etc. It is as if these moments of transgression and of value reversal ensured the continuity and balance of the annual cycle of seasons.

Turned into a Catholic celebration, Three Kings’ Day has inherited the winter transgressive rituals represented by the Möbius band: basketry and the braiding of vegetable fibers are artistic forms that were already highly developed during the Neolithic period, and the Möbius band is a basic artifact that reveals unexpected mysteries. The Neolithic man didn’t know the first thing about mathematics, but knew about the topology of knots. Who hasn’t been surprised by the simple experiment of taping a paper strip to form a loop after giving it a half-twist? If we draw a continuous line along one side of the paper strip, after going right round once, the line will meet at the starting point, but on the opposite side of the paper. If the line is continued round a second time, the whole surface of the paper strip will have been covered. Moreover, cutting the paper strip along the center line with a pair of scissors will result in a new loop twice as long, and cutting it again in the middle will yield two loops that are wound around each other. This curious loop, whose underside is nothing but a glimpse of its upper side, like a topological pretzel linking the visible to the invisible and the inside to the outside, must have appeared to the early craftsmen as the mysterious source of all torsion forces, of the balance existing between opposing forces of the universe and of the close relationship between the visible and invisible. If we imagine the cycle of day and night, of seasons, of life and death like a loop or a shamanic crown made of braided grass, then the head-over-heels reversal of customary values becomes a magic interval during which hidden forces are driven to the surface to better quash them.

Transgression, or the reversal of values, celebrates the eternal return. I imagine the "original" cake [13] as a half-twisted torus, yet this dimension has been lost as it has since been flattened.

Modern Man has always looked down on his neighbors the "Barbarians", and even on his ancestors, so ‘primitive’, when in fact we are the ignorant ones. For instance, modern music is just a simplistic reduction compared to the complexity of ancient music (cf. Xenakis, Music and Architecture) [14].

Thanks to simplification, brainless masses have access to empty concepts, drained of their substance, because knowledge is transmitted differently today. It is also true that modern Man, whose brain has been cleared of his Inherited Conglomerate, is more easily dependent and accommodating than the self-sufficient primitive Man equipped for survival.

P. B.

Translation: S. G.


Additional links:

Imbolc / Là Fhèill Brìghde,
Mad about Paris,
Candlemas,
Lupercalia.


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P.S.

Source du logo : teteamodeler.com.

Liens additionnels :

- Fête des fous (fr.wikipedia)
- Galette des rois (fr.wikipedia)
- Saturnales (fr.wikipedia]
- Épiphanie (fr.wikipedia)
- Le jour des crêpes (Imbolc, Chandeleur, Lupercales).

Liens de création et d’édition de Pascal Baes :

- Lire sa biographie et lui écrire directement depuis criticalsecret.net
- http://www.laposelongue.org
- Yellow House
- Vimeo

- Pascal Baes (google.com).

Footnotes

[1] Diogène de Sinope, esclave d’un maître corinthien qui admirant sa liberté d’esprit l’avait affranchi. Son radicalisme y compris sur le plan matériel le fit considérer comme un misérable et par conséquent un demiurge (ce qui n’était pas le cas des autres philosophes). Un article éponyme lui est consacré dans fr.wikipedia.

[2] Le jōmon est la période préhistorique japonaise correspondant au Xe millénaire av. J.‑C.

[3] Shinichi (ou Shin.ichi) Nakazawa est directeur de l’Institut d’anthropologie de l’art de Tokyo depuis 2006, et professeur à l’université d’art de Tama, faculté des arts et du design, département des sciences de l’art. Plusieurs de ses ouvrages ont reçu des prix nationaux internationalement reconnus et sont souvent cités par les universitaires mais demeurent non traduits en français ; les Cahiers sauvages comprennent 5 volumes dont le dernier, Anthropology of Symmetry a reçu le Kobayashi Hideo Award. (Source tamabi.ac.jp).

[4] Le texte intégral en français de la pièce d’Euripide Les bacchantes est accessible dans le site remacle.org.

[5] Il s’agit du pont franchissant la rivière Céphise sur la voie sacrée des 120 stades qui reliait Athènes à Eleusis.

[6] Une galette des rois, par exemple, en pâte feuilletée avec ou sans frangipane, à Paris ou dans le nord de la France, ou en pâte sablée dans l’ouest.. La tradition du sud de la France a gardé le gâteau en forme de couronne, un tore en brioche décorée de fruits confits glacés au sucre et dans laquelle on glisse également la fève qui désignera le roi d’un jour... La tradition existe ailleurs, bien sûr ; aux États-Unis c’est notamment en Louisiane et plutôt au moment du mardi gras que se consomme le King Cake également en brioche décorée.

[7] L’ouvrage de Iannis Xenakis Musique de l’architecture, col. Architecture, éd. Parenthèses, Paris (2004), est accessible sur amazon.fr et en anglais, Music and Architecture, Pendragon Pr, annotated edition edition (2008), sur amazon.com.

[8] (1) Diogenes of Sinope was the slave of a Corinthian man who set him free because he admired the philosopher’s free spirit. Because of his radical ideas and way of life, Diogenes was seen as a destitute, therefore as a demiurge (this was not true of other philosophers). A whole article is devoted to him on en.wikipedia.

[9] (2) The Jōmon period is the time in Japanese prehistory that corresponds to the 10th millennium BC.

[10] (3) Shinichi (or Shin.ichi) Nakazawa has been the director of Tokyo’s Institute for Art Anthropology since 2006. He is also a professor at Tama Art University (Faculty of Art and Design, Department of Art Science). Several of his books have received national awards, are internationally renowned and are often referred to by researchers, though they are yet to be translated into French. The Cahiers sauvages include 5 volumes, the last of which, Anthropology of Symmetry, received the Kobayashi Hideo Award. (Source tamabi.ac.jp).

[11] (4) The full text, translated in English, of Euripides’ play The Bacchae is available at www.gutenberg.org.

[12] (5) This is the bridge that crosses the Cephissus River along the Sacred Way that used to cover 120 stades from Athens to Eleusis.

[13] (6) In France, more specifically in the North, King Cake is a round, flat cake made of puff pastry, with or without frangipane, while in western areas it is made of rich shortcrust pastry. In the South of France, the traditional King Cake is still shaped like a crown, and looks like a torus made of brioche, decorated with candied fruit, in which a small trinket (usually a small figure representing a king) is hidden. The person who finds the trinket becomes king for the day. Of course, this tradition can be found in other countries, too. In the United States for instance, Louisiana has kept the tradition and serves a King Cake made of brioche that is usually eaten during Mardi Gras celebrations.

[14] (7) ] Iannis Xenakis’ textbook Musique de l’architecture, col. Architecture, éd. Parenthèses, Paris (2004), is available at amazon.fr and its English version, Music and Architecture, Pendragon Pr, annotated edition (2008), at amazon.com.

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