- Drone Vision
- Trevor Paglen
Source : Drone’s Eye View : A Look at How Artists
are Revealing the Killing Fields (rhizome.org)
Haut Modernisme et Basse Théorie
1. Considérons deux photographies par Trevor Paglen. L’une est une image de ciel de nuit prise avec une exposition de courte durée. On voit les étoiles clignant de l’œil dans le noir, et une ou deux tranches traversant le noir ; ce sont des satellites en orbite. Une autre montre le ciel photographié en longue exposition. Les étoiles paraissent maintenant s’être déplacées selon des arcs, même si bien sûr c’est la terre qui tourne, pas les étoiles. Regardez de plus près et vous pourrez voir quelques étoiles qui ne bougent pas du tout : encore des satellites. Ils sont en orbite géosynchrone. Les deux photographies rendent visibles dans le ciel nocturne deux types d’intervention de l’homme : des satellites qui tournent à la vitesse de la terre et des satellites qui se déplacent plus vite que la terre ne tourne. Dans les deux cas ce qui rend visible cette chose presque invisible ce sont deux autres points de référence : la terre et les étoiles.
2. Les satellites qui intéressent particulièrement Paglen sont les « noirs », utilisés par les militaires et les agences du renseignement. Afin de savoir où et quand diriger son appareil pour les enregistrer, il compte sur les sites web, et sur les listes de serveur d’un petit groupe d’amateurs experts qui accordent leur intérêt à de telles choses. Parfois il tourne aussi son appareil photo vers les bases et les zones d’accès restreint, depuis lesquelles le pouvoir officiel et les scientifiques s’occupent de ces objets. En utilisant des lentilles conçues pour le ciel de nuit, il photographie ce genre de bases à des miles de distance. Ces photographies ont une qualité liminale à la fois comme iconographie représentative, et du point de vue de leur légalité. Certaines sont moins des images de la base secrète que des images de sa brume de chaleur. Certaines des images de Paglen ne sont même pas « à peine "représentatives" », comme lorsqu’il exprime les ondes radar qui signalent les frontières électromagnétiques des États-Unis.
3. Certains des satellites que Paglen enregistre sont utilisés pour administrer des drones d’attaque et de surveillance à distance. Ceux-ci ont des caméras à bord qui permettent à leurs pilotes de les faire naviguer depuis la sécurité de leur base secrète dans le désert du Nevada. Le retour au Nevada du flux vidéo en provenance du satellite n’est — assez curieusement — pas crypté. Certains de ces satellites sont assez vieux, et ajouter le cryptage accroitrait la latence, rendant le drone difficile à piloter. Aidé par quelques hackers silencieux, Paglen a réussi à enregistrer suffisamment de ce feed vidéo. C’est un aperçu inquiétant que regarder le monde du point de vue d’un appareil sans pilote, comme s’il roulait approximativement dans l’air, essayant de trouver ses marques.
4. Le travail de Paglen peut être envisagé, parmi d’autres choses, dans un haut espace moderniste tout à fait canonique, concerné par les limites extérieures du visible [2]. L’Impressionnisme, comme T. J. Clark l’a si bien montré, n’était pas juste un empirisme du jeu de la couleur avec la lumière, mais, par-dessus tout, une réponse aux transformations techniques et économiques du paysage, à un certain moment de l’évolution du capitalisme. Par exemple, les canotiers de Manet dans la toile Argenteuil (1874) [3] : un couple assis au bord de l’eau, des bateaux derrière lui et à l’arrière-plan, les usines sur l’autre rivage — s’il s’agit d’un fleuve. Le fleuve est d’un bleu très vif, et pas tout à fait comme la nature l’a rendu. La couleur est venue d’un indigo rejeté par une usine chimique en amont. Le modernisme, quand il apparaît au plus formel de lui-même, quand il paraît le mieux porté par ses propres pratiques et matériaux, répond généralement en même temps à la transformation sociale qui correspond à ses conditions d’existence. En tous cas ces préoccupations formelles ne prendraient guère place dans un support innocent. Les couleurs de Manet se trouvent elles-mêmes dans le cadre du produit d’une industrie chimique en pleine expansion.
5. De même concernant Paglen, on peut se demander : d’où viennent les lentilles utilisées pour photographier les choses à de telles distances ? D’où vient cet Internet par lequel des amateurs partout dans le monde pistent les satellites noir ? En bref, il s’agit d’une façon de rendre perceptible un monde, laquelle à son tour demande une manière de penser ce nouveau monde, désormais perçu. Mais ces pratiques sont-elles réductibles à l’art et la philosophie ? Peut-être pas, si par l’art et la philosophie nous entendons certains régimes institutionnels, hébergeant certains discours, se prétendant les interprètes et les héritiers uniques d’un certain héritage historique. En effet, si l’art et la philosophie se cherchent ces jours-ci, ce peut être qu’ils ne soient plus adaptés à la tâche de représenter la sorte de monde que les images de Paglen rendent manifeste. On ne manque pas de tentatives de figurer et de décrire un tel monde, pour le procurer sous une forme déchiffrable dans les univers de l’art et la philosophie. La tâche plus intéressante serait exactement l’inverse : l’art et la philosophie peuvent-ils être détectés et codés dans l’univers qu’il semble seulement adéquat de désigner par « paglenesque » ?
6. L’élément manquant, où la philosophie autant que l’art est concernée, c’est la question de la matérialité de leur média. Bien sûr, les descriptions d’un tel problème ne manquent pas. Mais les philosophes n’ont fait qu’interpréter le support. Alors que l’astuce, c’est de le changer. Ou encore, si c’était une trop vaste ambition, alors montrer, par une sorte de démarche négative, le caractère de l’écart entre ce qui constitue le média et ce qu’il pourrait devenir. Sur cette évaluation l’art se trouve peut-être à une longueur d’avance, c’est donc à partir de certaines avant-gardes qui gravitent aux marges du monde de l’art qu’éventuellement on pourrait prendre certains repères. L’art média, le net.art et d’autres pratiques associées abondent en expériences sur la forme médiatique.
7. On ne voit pas souvent un travail à l’œuvre de défier toutes les dimensions de la matérialité des médias qui gouvernent la logique du sensible et de l’intelligible de notre temps. Par exemple, ce n’est pas assez de simplement perturber la marche lisse des régimes de transmission. L’introduction d’un bruit peut avoir un effet salutaire pour révéler les contours d’un régime technique particulier. Ceci, que la chose la plus intéressante à propos de la radio soit la statique, fait partie de la position d’Adorno dans Current of Music. De même, il n’est pas suffisant de jouer des variations en mineur pour atteindre pour les niveaux supérieurs du signal. Renversements de la valeur, soulignant ce qui est omis dans la représentation, et ainsi de suite, chaque chose à sa place, seulement cela tend à isoler la couche du signal par rapport au canal à travers lequel elle est communiquée.
8. Il est possible que l’erreur principale dans les tentatives d’expérimenter un média comme forme soit d’ignorer ce que Marx et Engels appellent « la question de la propriété ». Pour une fois ce qui était généralement qualifié d’industrie de la culture pourrait être tenu de représenter ce qu’elle a exclu, s’agissant en réalité de deux choses. L’une était la volonté populaire définie, selon ses propres termes, comme une volonté auto constituante. L’autre était l’esthétique comme pratique de la perte de l’« endophasie » de la forme. Au sens propre du bit dans la déclinaison culturelle, « l’esthétique relationnelle » les détenait par deux chemins : l’art et l’action se rencontrent dans l’espace désigné, non pas tant par l’artiste que par le marché de l’art.
9. Poser la question de la propriété a ses précédents, bien sûr. Dans Phèdre, Platon semble particulièrement troublé par la façon dont le mot écrit peut circuler comme un orphelin dans le monde, sans la protection de celui qui l’a « paterné ». Ce sont les débuts du problème de ce que Bernard Stiegler nomme la « grammatisation » et que j’appelle « l’abstraction ». Disons : l’évolution d’un type distinctif de matérialité numérique, dans laquelle l’information parvient à avoir une relation arbitraire avec son substrat matériel. À l’ère numérique cette relation devient à peu près aussi arbitraire qu’il soit possible de l’obtenir. Tout bit peut être transposé d’une instance matérielle à une autre.
10. De surcroît, entre les bits il devient beaucoup plus facile de permuter les relations. La logique de maintenir ensemble des bits d’information n’est pas tellement celle textuelle de la citation et de l’enregistrement, c’est celle algorithmique de la permutation d’une valeur par rapport à une autre, via un script qui prescrit le moment où la permutation est faite. En bref, une sorte de gamespace émerge. Celui, où votre argent se trouve, fluctuant entre les algorithmes. C’est là que la « guerre contre le terrorisme » est disputée par des drones sans équipage, pilotés depuis l’autre côté de la terre.
11. Peu importe ce que furent les limites d’appréhender le monde par le mot : ce n’est peut-être pas ce qui définit le mieux le problème du logos. Que faire si désormais nous n’étions plus tant dans une civilisation « logocentrique » que « ludocentrique » — définie par le jeu au sein de l’algorithme plutôt qu’entre les mots ? Que faire si le cadeau qui nous troublait n’était pas l’écrit mais l’algorithme ? Si la « grammatisation » est le « pharmakon » non décidable, que ce ne soit pas l’écrit, le numérique, mais l’algorithme qui soit le « pharmakon » décidant parfaitement où il se termine à chaque fois, dans une complète indifférence à toute chose en dehors de lui-même, dans une complète indifférence au monde. Et du flux vidéo du drone sans pilote, qui essaye de se repérer, c’est, tournant de cette façon, qu’il puisse ne pas être un faux symbole. Le drone est une sonde issue de l’algorithmique, cherchant ses repères c’est le monde, à rechercher et à détruire.
12. Comment pourrait-on retourner l’art et la philosophie, ou ce qu’il en reste, vers ce gamespace algorithmique ? Bien sûr, ils sont à peine adéquats à la tâche. Le meilleur que l’on puisse en espérer est une sorte d’exploit négatif, ce qu’il serait possible d’en concevoir comme l’action de définition de l’avant-garde. Un exploit négatif est celui qui révèle l’écart, la différence entre son cas particulier propre et la totalité contre laquelle il se jette ; à certains égards il se trouve à l’opposé de la conception positiviste de l’action, qui « fait la différence » dans le monde spécifique et local, serait-elle basée sur des principes éthiques généraux. L’action négative s’en prend à la totalité, pas à quelque chose de précis, si ce n’est qu’elle y procède depuis la matérialité d’une action particulière.
13. Certes, la philosophie n’est pas un discours a priori souverain dans le monde anglophone, ainsi la question dans un tel contexte devrait-elle être distincte. Dans le contexte anglophone les marchés de l’art et leurs institutions auxiliaires sont fermement ancrés, aussi à la place de la philosophie nous avons un champ plus nébuleux que l’on pourrait qualifier de haute théorie ; de temps en temps elle fut concernée par les grandes traditions philosophiques allemandes et françaises, mais on a rarement tenté de l’appeler philosophie (sauf, naturellement ici, à New School).
14. En tout cas, ce qu’on pourrait attendre n’est pas tant un rapprochement de l’art que ce soit avec la philosophie ou la haute théorie, qu’avec l’articulation supplémentaire de ce qu’on pourrait appeler la basse théorie. Ce qui pourrait se définir comme le discours spéculatif constituant les résultats artistiques en perception expérimentale, qui traite la philosophie comme un domaine valide — mais seulement pour le « détournement » de matériaux utiles, — qui vise la composition de la perception et de la pensée comme une force sociale, et qui s’éprouve réflexivement dans la matérialité de son propre média à tous ses niveaux, du contenu à la forme — la forme de la propriété inclus.
15. La basse théorie a été bel et bien vivante dans le vingtième siècle tardif et même pendant « les années hivernales » du vingtième siècle tardif. Qu’elle survive dans le présent est un sujet pour une nouvelle étude, elle vit aussi longtemps que les pratiques avant-gardistes échappées du haut modernisme fleurissent et s’étendent aux formes d’action négative dans le monde. Les deux ensemble, basse théorie et action négative, sont le meilleur legs des futuristes, de dada, du surréalisme, des situationnistes, et de fluxus. En vertu de quoi nous n’avons qu’à chercher les procédures pas encore tout à fait récupérées par le discours de l’histoire de l’art, qui aient poursuivi de tracer leur chemin à travers le milieu et la fin du vingtième siècle.
16. Le projet de notre temps, alors, est ce double déplacement, à la fois de l’art et de la philosophie, respectivement dans la direction de l’action négative et de la basse théorie. Dans ce double déplacement on pourrait trouver le fil des formes de la perception et de la conception adéquate pour le monde primitif du XXIe siècle. C’est un monde qui peut être rendu, comme les images de Paglen le montrent, et même décrit. Mais ces interprétations et descriptions sont le plus souvent des transpositions d’un monde émergent en retour d’institutions résiduelles et de leur code hérités des discours du passé. Le défi consiste à inverser la procédure : détourner l’art et la philosophie à l’intérieur du gamespace, lequel même imparfaitement saisit la totalité du monde existant.
2011 Walls & Bridges, © 2012 Polity, 2011-2012 McKenzie Wark
Bibliographie
Trevor Paglen, Invisible : Covert Operations and Classified Landscapes, Aperture, New York, 2010.
T. J. Clark, The Painting of Modern Life, Princeton University Press, Princeton NJ, 1999. [4]
Theodor Adorno Current of Music, Polity Press, Cambridge, 2009. [5]
McKenzie Wark, A Hacker Manifesto, Harvard University Press, Cambridge MA, 2004. [6]
Nicolas Bourriaud, Relational Aesthetics, Les Presses Du Réel, Paris, 1998. [7]
Bernard Stiegler, For a New Critique of Political Economy, Polity, Cambridge, 2010. [8]
McKenzie Wark,Gamer Theory, Harvard University Press, Cambridge MA, 2007. [9]
- Edouard Manet
- Argenteuil, Les Canotiers (1874)
Musée de Tournai (BE)
From High Modernism to Low Theory
1. Consider two photographs by Trevor Paglen. One is an image of the night sky taken with an exposure of a short duration. One sees the stars winking in the blackness, and a steak or two crossing the black. They are orbiting satellites. Another shows the sky photographed with a long exposure. The stars now appear to move in arcs, although of course it is the earth that is rotating, not the stars. Look closely and you can see some stars that don’t move at all : satellites again. These are in geosynchronous orbit. The two photographs make visible two kinds of human intervention into the night sky : satellites that turn with the speed of the earth and satellites that move faster than the earth’s turning. In both cases what makes this almost invisible thing visible is two other points of reference : the earth and the stars.
2. The satellites Paglen is particularly interested in are ‘black’ ones, used by military and intelligence agencies. In order to know when and where to point his camera to record them, he relies on the websites and listserves of a small band of amateur experts who take an interest in such things. Sometimes, he also turns his camera on the bases and restricted zones from which official power and knowledge manages such objects. Using lenses designed for the night sky, he photographs such bases from miles away. These photographs have a liminal quality both in terms of their legality, but also as representational images. Some are images more of the heat-haze than of the secret base. Some of Paglen’s images are barely ‘representational’ at all, such as when he images the radar waves that mark the electromagnetic borders of the United States.
3. Some of the satellites Paglen records are used to manage remote surveillance and attack drones. These have cameras mounted in them, which allows their pilots to navigate them from the safety of their secret base in the Nevada desert. The video feed from the satellite back to Nevada is – curiously enough – not encrypted. Some of the satellites are quite old, and adding encryption adds latency, making the craft difficult to fly. With the help of a few discreet hackers, Paglen has managed to record some of this video feed. It is an eerie sight, watching the world from the point of view of a pilotless drone, as it wheels about in the air trying to get its bearings.
4. Paglen’s work can be viewed, among other things, within a quite canonic high modernist space that is interested in the outer limits of the visible. Impressionism, as T. J. Clark showed so well, was not just an empirics of the play of light and colour, but was a response above all to the technical and economic transformations of the landscape in a certain moment in the evolution of capitalism. For instance, in Manet’s Argenteuil, les canotiers (1874) a couple sit by the riverside, boats behind them, and in the background, the factories on the other shore if the river. The river is a very vivid blue, and is not quite as nature painted it. The color came from indigo dumped by a chemical factory upstream. Modernism, when it appears at its most formal, when it seems most concerned with its own materials and practice, is generally at the same time responding to the social transformation of its conditions of existence. In any case those formal concerns hardly take place within an innocent media. Manet’s colors are themselves in part of a product of a rapidly expanding chemical industry.
5. Likewise with Paglen, one might ask : where to the lenses used to photograph things at such distances come from ? From where comes this internet via which hobbyists all over the globe track black satellites ? In short, there’s a practice of rendering perceptible a world which in turn calls for a practice of thinking the new world now perceived. But are these practices reducible to art and philosophy ? Perhaps not, if by art and philosophy we mean certain institutional regimes, housing certain discourses, which lay claim to be the sole inheritors and interpreters of a certain historical legacy. Indeed, if art and philosophy seek each other out these days it may be because they are no longer adequate to the task of accounting for the kind of world Paglen’s images make manifest. There is no shortage of attempts to picture and describe such a world, to render them in a form that is legible within the worlds of art and philosophy. The more interesting task would be exactly the reverse : can art and philosophy be detected and encoded in this world that it seems only fitting to call paglenesque ?
6. The missing element, where both art and philosophy is concerned, is the problem of the materiality of their media. Of course, there is no shortage of descriptions of such a problem. But philosophers have only interpreted the media. The point, however, is to change it. Or if even that is too vast an ambition, then to show, by a kind of negative action, the nature of the gap between what is media and what it could become. Art is perhaps ahead of the game on this score, and so perhaps it is from certain avant gardes that hover around the edges of the art world that one might take certain cues. Media art, net.art and other allied practices abound in experiments in media form.
7. It is not often that one sees work that manages to challenge all of the dimensions of the materiality of media that govern the logic of the sensible and the intelligible in our times. For instance, it is not enough to simply disrupt the smooth functioning of media regimes. The introduction of noise can have a salutary effect in revealing the contours of a particular technical regime. This was part of Adorno’s position in Current of Music : that the most interesting thing about radio is the static. Nor is it enough to play out minor variations on the dominant orders of the sign. Reversals of value, highlighting what is omitted from representation, and so on, has its place, but it tends to isolate the layer of the sign from the channel in which it is communicated.
8. Perhaps the main oversight in attempts to experiment with media as form is to ignore what Marx and Engels call “the property question.” What used to be called the culture industry could once be held to account for what it excluded, which was actually two things. One was the popular will defined in its own terms, as a self-constituting will. The other was the aesthetic as the practice of the undoing of form from within. By a neat bit of cultural declension, relational aesthetics had it both ways : art and action meet within the space marked out, not so much by the artist as by the art market.
9. To ask the property question has its precedents, of course. In the Phaedrus, Plato seems particularly troubled by the way the written word can circulate as an orphan in the world, without the protection of the one who ‘fathered’ it. This is the beginnings of the problem of what Bernard Stiegler calls grammatization and that I call abstraction. It’s the evolution of a distinctive kind of digital materiality, in which information comes to have an arbitrary relation to its material substratum. In the digital age, this relation becomes about as arbitrary as it can get. Any bit can be transposed from one material instance to another.
10. Moreover, it gets much easier to permutate the relations between the bits. The logic holding bits of information together is not so much a textual one of recording and citation, its an algorithmic one of the permutation of a value in relation to another via a script which prescribes when the permutation is done. In short, a kind of gamespace emerges. Its where your money is, fluctuating between algorithms. It is where the “war on terror” is being fought, by unmanned drones, piloted from the other side of the earth.
11. Whatever the limits were to grasping the world through the word, perhaps that’s no what defines the problem of logos any more. What if we were no longer a logocentric so much as a ludocentric civilization ? One defined by the play within the algorithm rather than between the words ? What if the gift that troubled us was not writing but the algorithm ? It is not that writing, the digital, grammatization is the undecidable pharmakon, it is that pharmakon is the algorithm, which decides perfectly where it ends every time, in complete indifference to anything outside of itself, in complete indifference to the world. The video feed from the pilotless drone, turning this way and that, trying to get its bearings, might not be a bad emblem. The drone is a probe from the algorithmic, looking for its bearings is the world, to search and destroy.
12. How would one turn art and philosophy, or what remains of them, toward this algorithmic gamespace ? They are of course hardly adequate to the task. The best one might hope for is a kind of negative action, what one might think of as the defining action of the avant-garde. A negative action is one that reveals the gap, the difference, between its own particular instance and the totality against which it hurls itself. It is in some respects opposite of the positivist conception of action which ‘makes a difference’ in the world that is specific and local, if based on general ethical principles. Negative action takes aim at the totality, not something specific, but it does so from within the materiality of a particular action.
13. Of course, philosophy is not a sovereign discourse in the Anglophone world to begin with, so the question might be different in such a context. The art markets and their attendant institutions are firmly anchored in the Anglophone context, but in place of philosophy we have instead a more nebulous realm that one might describe as high theory. It has been intermittently interested in the great philosophical traditions of France and Germany, but it rarely gets to call itself philosophy (except, of course, here at The New School).
14. In any case, what one might be looking for is not a rapprochement of art with either philosophy or high theory, so much as the further articulation of what one might call low theory. This one might define as speculative discourse which draws on the results of art as experimental perception, which treats philosophy as a valid realm but only for the détournement of useful materials, which aims at the composition of perception and thought as a social force, and which experiments reflexively in the materiality of its own media in all of its levels, from content to form, including property form.
15. Low theory was alive and well through the late twentieth century and even through the ‘winter years’ of the late twentieth century. Whether it survives into the present is a topic for further investigation. It lives so long as the avant garde practices which escape from high modernism flourish, and extend themselves towards forms of negative action in the world. The two together, low theory and negative action, are the best legacy of the futurists, dada, surrealism, the situationists, and fluxus. After that one has to look to instances not yet fully recuperated by art historical discourse, which is still working its way through the mid to late twentieth century.
16. The project for our time, then, is this double displacement, of both art and philosophy, towards negative action and low theory respectively. In that double displacement one might find the thread of forms of perception and conception adequate to the early twenty-first century world. It’s a world that can be rendered, as the Paglen images show, and even described. But those renderings and descriptions are more often than not transpositions from an emerging world back into residual institutions and their legacy code of past discourses. The challenge is to reverse the procedure, to détourn art and philosophy into the gamespace that has so imperfectly seized the totality of the existing world.
2011 Walls & Bridges, © 2012 Polity, 2011-2012 McKenzie Wark
Footnotes :
Trevor Paglen, Invisible : Covert Operations and Classified Landscapes, Aperture, New York, 2010.
T. J. Clark, The Painting of Modern Life, Princeton University Press, Princeton NJ, 1999.
Theodor Adorno Current of Music, Polity Press, Cambridge, 2009.
McKenzie Wark, A Hacker Manifesto, Harvard University Press, Cambridge MA, 2004.
Nicholas Bourriaud, Relational Aesthetics, Le Presse Du Reel, Paris, 1998.
Bernard Stiegler, For a New Critique of Political Economy, Polity, Cambridge, 2010.
McKenzie Wark, Gamer Theory, Harvard University Press, Cambridge MA, 2007.