- Andrée Putman "architecture & morality+
- « Andrée est partie dessiner les nuages 19.1.13 »
© Jean Charles de Castelbajac
Source FB Jean Charles de Castelbajac (avec son accord)
L’article qu’elle avait aimé et dont elle reparlait toujours avec drôlerie à ses amis, disant : « Un journaliste de Libé, je me demandais vraiment pourquoi !? »
Qu’il était vert mon canapé
Libération, 24 janvier 1983
En cent intérieurs photographiés par Jacques Dirand, une promenade dans le Style Français
É tait-ce l’odeur de la Tollens blanche cassée ou cette citation de Baudelaire : « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher » accordée en guise d’introduction ironique à l’ouvrage, du haut de la plus haute marche de mon escabeau, j’eus soudainement envie de plonger au plus profond du goût. Pour ce faire, je pris garde tel un alpiniste dans les pires froids des cimes étrangères, de me munir d’un sherpa. Je passai une petite annonce. Impeccablement vétue de cuir noir, un sherpa qui était une sherpa se présenta à mon domicile. « Excusez-moi, je continue à badigeonner. Je vous écoute. » Et de prendre connaissance de l’indispensable curriculum vitae. « Née dans ce qu’il est convenu d’appeler le berceau du bon goût, j’ai eu très tôt l’envie de lutter contre cette conception française dépassée de la perfection qui ressemblait un peu trop à ces ours en peluche usés par trop d’affection. » La dame fit une pause. « Pris à son propre piège historique, s’empêtrant dans les pompons, éternuant dans les velours, assoupi dans des fauteuils en simili Louis XV, le style classique français s’est laissé asphyxier par un passé trop riche. C’est la pendule sinistre au milieu de la cheminée avec un chandelier de chaque côté, dont naturellement on n’allume jamais les bougies. » Je tenais mon sherpa. Elle sur le canapé, moi sur l’escabeau, nous entreprîmes l’ascension. « Dieu merci, dans les pays anglo-saxons, le bon goût n’existe pas. Et si je ne redoutais de choquer vos opinions que par ailleurs j’ignore, je vous dirais bien qu’"Une certaine idée de la France, cette si belle expression du nationalisme du général de Gaulle, a hélas quelque peu contribué à cet enterrement de première classe. » Le rouleau à la main, continuant à travailler pendant que mon sherpa feuilletait avec beaucoup de conscience l’ouvrage, j’entendis des mots comme : « C’est joli, un meuble usé. » Nous vîmes passer « l’équilibre du rouge », chez François Baudot ; une cheminée de César dans une villa Second Empire ; un merveilleux lustre en cristal du XVIIIe (« Le plus grand bouleversement du design ! »). Je reconnus un tableau de Jacques Martinez, homme à contre-courant dans un salon lambrissé à Bordeaux, et un autre de Gilles Mahé, chez lui, à Garches. Je finissais le plafond quand vint le sommet. La maison de Jean Lafont. Où des chaises gothiques trouent au sol une cathédrale fantastique. « Ça, c’est un chef-d’oeuvre. Mais l’homme est un chef-d’oeuvre ! » Puis, réfléchissant : « La désinvolture ! Voilà le mot qui revient quand on est séduit. C’est ce qui fait une maison ! Même photogénique, elle est ridicule. » Sur ce, nous prîmes congé. Tout en lavant mes pinceaux, j’eus un hoquet. Sur le fond blanc cassé de l’appartement, qu’il était vert mon canapé !
À propos de French Style, Éditions de l’Équerre.
Source Facebook Jim Palette / Notes — avec l’accord de l’auteur, que nous remercions chaleureusement.
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