Un peu d’analyse rétro-prospective s’impose à propos des Présidentielles françaises. Et si l’on s’y adonne, alors on verra, n’en déplaise aux amis qui se contentent d’attaquer le principe du système électoral au lieu d’y ajouter l’observation des phénomènes qu’il fait apparaître, en quoi les élections dévoilent la structure idéologique et politique des parties de « nation » en présence, et particulièrement personnalisées par des codes communiquant autrement qu’elles ne s’annoncent, prédisant des configurations des signes différentes de leurs références. Ce qui ne rend pas es élections inutiles et même les rend précieuses pour l’information des citoyens.
Par exemple, observant les fluctuations des sondages d’opinion pour le second tour des Présidentielles, au jour le jour, je remarquai que plus Sarkozy radicalisait sa campagne à l’extrême-droite, plus cela entraînait sa stagnation et au pire une petite révision à la baisse ; par conséquent je me demandai pourquoi il poursuivait dans cette voie...
Résumé des intentions de vote au 2ème tour (Sondages en France).
Deux réponses possibles paraissent s’imposer. La plus simple : face à la crise économique qui frappe les États à cause de la politique européenne de la monnaie et des banques, pas même Sarkozy, a l’instar d’aucun autre candidat dont son rival, ne pourrait se passer du masque méta-nationaliste (méta : après, mutation qui arrive au-delà de sa référence).
Le libéralisme de l’Europe mondialisée, singularisée par la politique de l’euro qui renfloue directement le dollar du Trésor américain (qui depuis plusieurs mois exige le règlement « cash » en euros de tout appel de devises en dollars par l’Europe), outre que le capital financier des banques privées s’approprie la monnaie européenne, ne sont défendables par quiconque aujourd’hui, vu le désastre collatéral des économies locales. Défendre cette Europe n’est plus soutenable après la Grèce quand d’autres pays attendent leur tour, pendant que les grecs privés de ressource émigrent en Allemagne dans l’espoir de trouver du travail, et provoquant bientôt, pourquoi pas, un renforcement protectionniste de l’Allemagne dissimulé par l’abrogation soudaine de la directive Bolkenstein au niveau européen (dans le pire de ce cas, le meilleur étant l’abrogation du pacte de stabilité). Mais alors ce serait la fin de l’Europe de Schengen... et pourquoi pas de l’euro.
L’accompagnement de la ruine des populations et de leur structure sociale n’est plus jouable [1].
Sans l’idéologie méta-pétainiste, Sarkozy apparaîtrait comme un traître à son mandat électoral national, et pour ne pas dire un traître à la nation aux yeux de l’extrême-droite nationaliste et protectionniste, vu l’affaire des contrats à terme spéculatifs sur la dette française, lancée par ses soins pendant la campagne du premier tour.
Cela crée un écran de fumée devant la réalité d’une posture libérale et militariste euro-américaine inchangée, persistante, et celle de l’homme commissionnaire des lobbies de Wall Street et de l’armement in situ. Mais d’autre part, si l’on file la métaphore entre 1941 et aujourd’hui, son méta-pétainisme signifie un méta-collaborationnisme avec l’Allemagne de madame Merkel, sa complice qui exige la politique de rigueur pourtant cadrée par une politique financière renforcée par l’euro surévalué érigé en trésor privé du capital financier, dérobé aux populations. L’autorisation d’un jeu interdit de la Bundesbank à la Bourse de Francfort via une filiale qui exploite également les contrats à terme spéculatifs sur la dette allemande, depuis le mois de février, laisse supposer une complicité réciproque de la Chancelière [2] avec le Président.
Ce qui porte ombrage à l’un porte ombrage à l’autre.
En somme, sans l’effet méta-nationaliste, non seulement monsieur Sarkozy s’effondrerait purement et simplement sous la barre des deux chiffres dans les sondages, mais de surcroît les traces d’une haute trahison et d’une escroquerie gigantesque commenceraient à circuler. C’est aussi dans le sens salvateur d’un parti corrompu ou compromis qui permet d’interpréter la question soudaine et bien tardive de l’éminent membre de l’UMP qu’est monsieur Barnier, commissaire européen responsable du marché intérieur et des services, à Bruxelles, comme s’il se réveillait d’un long sommeil, sur la disparition du millier de milliards que la banque européenne a prêté aux banques depuis janvier. (Merci au Front de Gauche d’avoir soulevé le problème).
À ce point, il convient de faire remarquer que le méta-nationalisme européen de monsieur Sarkozy est aussi l’affaire de son rival, qui colore la même tendance libérale par des avantages plus attirants, plus sociaux, plus justes et moins liberticides, dans la tradition sociale démocrate française, mais dont le programme n’envisage pas de révolution de la structure. Celui-ci accompagne la politique de la rigueur pour rembourser la dette, elle ne permettra pas de résoudre son remboursement ni la relance économique. Ainsi le même masque recouvre-t-il les deux visages. La dette est de toutes façons impossible à rembourser puisqu’elle se reproduit avec la production coûteuse de la monnaie à des taux quasiment usuraires alors qu’ils devraient être nuls ou à peu près, tandis que le débit antérieur s’accroît par les intérêts, (à quoi il faut ajouter une partie toxique qui ne devrait être prise en compte d’un dû quelconque, pourvu que des politiques soient capables d’en dénoncer les engagements). Et par conséquent croissance ou pas, sauf bouleversement des attributions de la BCE et des banques [3], il faut cacher que rien à ce jour n’existe encore pour que l’annonce de la relance économique soit assurée...
L’autre réponse c’est qu’ainsi Sarkozy continue à se battre au-delà de sa perte, pour traîner à droite son rival, pas seulement pour le combattre mais pour redresser son programme avant qu’il ne prenne le relai, gage rendu à la droite européenne avant clôture (et auto-protection). À l’épreuve, le socialiste fait de plus en plus de déclarations inacceptables par un électorat de gauche, serait-ce une gauche modérée, notamment quand il réintègre la politique xénophobe de son concurrent en annonçant des quotas d’immigration qui n’existaient explicitement pas de cette façon dans son programme, et quand il reprend à son compte le concept de sécurité de son prédécesseur (stupéfiante prestation de Ségolène Royal en appelant à l’électorat de Marine le Pen durant la première soirée électorale à la télévision). Ce qui rassure les européens conservateurs sur les normes sécuritaires couchées dans le Traité de Lisbonne, la succession du choc des civilisations, et d’autres avantages, malgré le départ du vendeur. Lequel ainsi n’aura pas démérité de ceux qu’il servait. Mieux, jusqu’au bout dans sa perte, il aura sauvé leurs intérêts en provoquant la métamorphose graduée du programme socialiste...
Mélenchon n’est plus dans le jeu du second tour pour renvoyer un miroir de gauche à Hollande, qui au moins y trouva la force de se tenir au centre gauche. On constate tout de suite, à la bifurcation des déclarations du candidat socialiste, où la voix publique et bruyante du Front de gauche manque et manquera à toute la gauche, tant que les modifications de structure proposées dans son programme seront rejetées.
Dans cette ligne, on peut percevoir le changement d’attitude du gouvernement Merkel, lequel après avoir fait un chantage à la rupture avec le candidat socialiste revient contradictoirement sur ses positions depuis deux jours, avec un effet d’annonce d’ouverture, que les résultats du premier tour n’avaient pourtant pas décidé à convier dès le lendemain. Il convient donc d’imaginer autrement qu’en termes utiles la déclaration de la Chancelière.
Si Angela Merkel accompagne clairement le glissement à droite du candidat socialiste après la déclaration de celui-ci sur les quotas de l’immigration, quoique sans y faire référence, et ces propos traduisant l’influence pétainiste en amont [4] qui imprègne la campagne du candidat sortant, on peut cependant observer un paradoxe qui vire à la contradiction. À considérer que le gouvernement Merkel craigne d’être idéologiquement confronté à une germanophobie nourrie de l’image pétainiste, commuant en image collaborationniste le fruit de la collaboration du gouvernement français de Sarkozy avec l’Allemagne financière et néo-conservatrice, sous l’égide des vieux monstres de l’occupation nazi. On comprend que pousser plus loin une alliance avec le porteur de telles images, d’autant plus qu’il s’annonce confirmé sortant, finirait par prêter ombrage à l’aura européenne exemplaire (quoique frelatée, d’après Jean-Claude Juncker) des conservateurs au pouvoir de l’Allemagne. D’ailleurs l’affaire des contrats à terme sur les dettes nationales, ré-autorisées depuis février 2012 pour les pays qui le désirent, et largement popularisée dans la Presse à cause de la campagne électorale française qu’elle était sensée manipuler pour édifier le candidat sortant, a déjà entaché cette réputation éthique populaire, alors qu’elle était restée indemne — à tort, quand on sait que la Bundesbank s’était compromise par la monétarisation de valeurs toxiques — après la crise des subprimes en 2008.
Ce sont les signes arborescents qui s’enchaînent en toute logique des messages envoyés par la communication de Sarkozy, éprouvée par les actes xénophobes et racistes de son gouvernement passé, quand il cherche à polariser le pouvoir futur. D’autant plus que le parlement européen est majoritairement à droite et poivré d’extrême droite, et la plupart des gouvernements des pays européens étant au mieux des gouvernements libéraux conservateurs et au pire d’extrême droite protectionniste réactive, liberticides. Sur ce terrain, l’électorat d’extrême droite n’est pas dupe, d’autant plus qu’il n’est pas néo-protectionniste mais protectionniste sans réserve, et qu’au titre de l’identité nationale il ne pourrait être trompé par le jeu des manches d’un libéral serait-il néo-conservateur, d’autant plus douteux que libéral ratissant les pâquerettes dans le jardin de Marine Le Pen, et par conséquent comme un voleur.
C’est donc de la part de monsieur Buisson et de son adepte en compétition un travail de communication à l’œuvre contre-productive. Il est impossible d’imaginer qu’ils ne s’en rendent pas compte. Alors pourquoi est-ce de pire en pire ?
À ce stade on pourrait se dire que Sarkozy a — est — perdu. En effet, d’un côté il ne peut changer les termes de sa campagne, ce n’est pas rétro-actif ; d’une part (et de toutes façons) l’Europe qu’il a faite à Lisbonne et renforcée en Allemagne présente une soumission financière et monétaire vassales (comme l’Allemagne au niveau au-dessus) et un bilan comptable inavouable — peut-être même davantage qu’on ne peut l’imaginer avant qu’un changement de pouvoir n’en révèle davantage, et il n’est pas en position de proposer une Europe différente de la fatalité dont il s’est fait le valet de la programmation ; mais encore les gens, et bientôt les démocraties ou les républiques les plus affligées, ne veulent — ne voudront — plus de son Europe. Il ne pourrait donc en diriger les prolongations... En même temps, il ne peut défendre d’autres lobbies que ceux pour lesquels il s’est illustré pendant cinq ans. En réalité ce qu’il a fait et qui qu’il soit, l’empêche de pouvoir changer quoique ce soit et quoiqu’il en dise.
Mais d’autre part adopter le méta-pétainisme, pour en cacher les méfaits, rend Sarkozy perdant dans ses alliances néo-conservatrices avec la démocratie de la rive droite du Rhin, sans laquelle il n’aurait pas fait illusion jusqu’ici.
Si tout est joué, il est dans l’impasse de son propre système de communication et du potentiel d’action politique dont il est l’émissaire en France, en réalité tourné vers les forces les plus réactionnaires du libéralisme néoconservateur et de la Défense restés en place sous les masques de la démocratie des USA. À ce stade on peut craindre de pires événements, ultimes tentatives d’impressionner ou de terroriser les gens idéologiquement, par des voies éventuellement obscures, au cours de la prochaine semaine. À moins qu’il ne soit radicalement lâché, cette fois, par tous ses alliés de l’extérieur. Comme ses alliés de l’intérieur se divisent et comme se divise sa propre majorité.
Si lui aussi était à l’ouvrage de se diviser — je veux dire : de réaliser la folie qui sommeillait en lui ? Ou serait-il un survivant à ce point ? Le pervers, le dictateur quand il perd. Celui qui vend ce qui reste de symbolique pour sauver sa peau puis brûle le territoire avant de partir.
Il reste que la situation idéologique soit de plus en plus inquiétante, parce que les populations qui l’intègrent n’en ressentent pas le détail critique et dévalué, parce que la misère est déjà là en beaucoup d’endroits, or la misère déchire, parce que cela génère une masse critique aux effets forcément désastreux, et la division sociale annoncée comme un champ de mine laissé après l’élection. Déjà, l’effet pervers est à l’œuvre politique du programme du rival socialiste, qui chaque jour l’adapte du pire côté ; bien entendu, cela peut lui être utile pour le 6 mai, mais lui fera administrer la société malade inchangée, raciste, toujours frappée par les coups portés par le prédécesseur. Prédécesseur qui lui laisse en outre : le paquet empoisonné de la réintégration de l’OTAN bétonné dans le Traité de Lisbonne. Avec l’entrisme agro-alimentaire des graines brevetées qui tuent et le lobby socialiste du nucléaire qui menace en plus : ça fait beaucoup.
On est stupéfait de constater le rôle médiatique entre les candidats pris par Marine Le Pen, puis à travers son électorat, et on se dit qu’elle est trahie d’emblée à l’usage de sa référence par chacun des finalistes, ce qui doit l’enrager. Mais la droitisation du néo-libéralisme éventuellement socio-démocrate sous la pression du marché laissant, derrière le masque du méta-protectionnisme, libre cours à la poursuite de l’Europe sans changer de chemin, est acquise. Et l’essentiel nous reviendra sous la forme de l’interdit, de la surveillance, et de la répression, ou de l’administration des libertés sous le joug des règlementations multiples qui les annulent. On se prend à rêver sur l’influence qu’aurait pu avoir la gauche si elle avait remporté le même score... mais on se rassure en se disant qu’au moins elle ne pourra être trahie — du moins pas encore.
Pourtant, je voterai socialiste en attendant Godot, je passerai entre les clochards Estragon et Vladimir d’un côté, et les maître et esclave Pozzo et Lucky de l’autre, pendant qu’ils s’imiteront sans me voir.
Excepté les documents et l’iconographie importés (sous leur copyright) :
Sarkozy, Hollande, les sondages du second tour, et l’idéologie perverse de l’Europe by Aliette G. Certhoux is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported License.
Based on a work at www.criticalsecret.net.