_____/ [ FR - EN ] « In this case, you will say, let’s throw away this book. Why read it if it is not written for us? For two reasons; the first is that Fanon explains you to his brothers and shows them the mechanism by which we are estranged from ourselves; take advantage of this, and get to know yourselves seen in the light of truth, objectively. Our victims know us by their scars and by their chains, and it is this that makes their evidence irrefutable. It is enough that they show us what we have made of them for us to realize what we have made of ourselves. But is it any use? Yes, for Europe is at death’s door. But, you will say, we live in the mother country, and we disapprove of her excesses. It is true, you are not settlers, but you are no better. For the pioneers belonged to you; you sent them overseas, and it was you they enriched. You warned them that if they shed too much blood you would disown them, or say you did, in something of the same way as any state maintains abroad a mob of agitators, agents provocateurs and spies whom it disowns when they are caught. You, who are so liberal and so humane, who have such an exaggerated adoration of culture that it verges on affectation, you pretend to forget that you own colonies and that in them men are massacred in your name. Fanon reveals to his comrades above all to some of them who are rather too Westernized — the solidarity of the people of the mother country and of their representatives in the colonies. Have the courage to read this book, for in the first place it will make you ashamed, and shame, as Marx said, is a revolutionary sentiment. You see, I, too, am incapable of ridding myself of subjective illusions; I, too, say to you: ‘All is lost, unless ...’ As a European, I steal the enemy’s book, and out of it I fashion a remedy for Europe. Make the most of it. »
Frantz Fanon,
Wretched of the Earth, Jean-Paul Sartre,
Preface - Extract ; Translation by Constance Farrington, Grove Press, NY, 1963.
- Preface @
marxists.org
[FR - EN] « En ce cas, direz-vous, jetons cet ouvrage par la fenêtre. Pourquoi le lire puisqu’il n’est pas écrit pour nous ? Pour deux motifs dont le premier est que Fanon vous explique à ses frères et démonte pour eux le mécanisme de nos aliénations : profitez-en pour vous découvrir à vous-mêmes dans votre vérité d’objets. Nos victimes nous connaissent par leurs blessures et par leurs fers : c’est ce qui rend leur témoignage irréfutable. Il suffît qu’elles nous montrent ce que nous avons fait d’elles pour que nous connaissions ce que nous avons fait de nous. Est-ce utile ? Oui, puisque l’Europe est en grand danger de crever. Mais, direz-vous encore, nous vivons dans la Métropole et nous réprouvons les excès. Il est vrai : vous n’êtes pas des colons, mais vous ne valez pas mieux. Ce sont vos pionniers, vous les avez envoyés, outre-mer, ils vous ont enrichis ; vous les aviez prévenus : s’ils faisaient couler trop de sang, vous les désavoueriez du bout des lèvres ; de la même manière un État -– quel qu’il soit — entretint à l’étranger une tourbe d’agitateurs, de provocateurs et d’espions qu’il désavoue quand on les prend. Vous, si libéraux, si humains, qui poussez l’amour de la culture jusqu’à la préciosité, vous faites semblant d’oublier que vous avez des colonies et qu’on y massacre en votre nom. Fanon révèle à ses camarades — à certains d’entre eux, surtout, qui demeurent un peu trop occidentalisés -– la solidarité des « métropolitains » et de leurs agents coloniaux. Ayez le courage de le lire : par cette première raison qu’il vous fera honte et que la honte, comme a dit Marx, est un sentiment révolutionnaire. Vous voyez : moi aussi je ne peux me déprendre de l’illusion subjective. Moi aussi, je vous dis : « Tout est perdu, à moins que... » Européen, je vole le livre d’un ennemi et j’en fais un moyen de guérir l’Europe. Profitez-en. » [1].
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Jean-Paul Sartre, Préface - Extrait ; Col. Cahiers libres, éd. François Maspéro, Paris, 1961.