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Soupir sur le Chemin des Dames

Hommage aux victimes et aux fusillés

mardi 13 novembre 2018, par Louise Desrenards

La chanson de Craonne. « Cette chanson engagée (à l’extrême-gauche) a des visées anticapitalistes quand elle fustige « les gros », « ceux qu’ont le pognon » et « les biens de ces messieurs là ». Elle est contemporaine de la Révolution d’Octobre de 1917 qui a entraîné, en France, la mutinerie des soldats communistes russes à La Courtine et, sur le front de l’Est, la débandade et le retrait des troupes russes (alors alliées à la France).
Une des versions de cette chanson censurée est publiée, après la guerre, en 1919 par l’écrivain Raymond Lefebvre sous le titre Chanson de Lorette. (...) La première version publiée est parue sous le titre « Une chanson de soldat » dans la Gazette des Ardennes du 24 juin 19175. Sous sa forme actuelle — c’est-à-dire mentionnant Craonne — la première version connue est antérieure à l’offensive du 16 avril 1917 : retrouvée dans le carnet du soldat François Court, elle y est suivie de la mention « chanson crée le 10 avril 1917 sur le plateau de Craonne ». Cette version fait la transition avec celles de la Chanson de Lorette puisqu’elle comporte comme elles un couplet supplémentaire absent du texte classique de la Craonne. » (fr.wikipedia)
Le plateau mentionné dans la chanson est le plateau de Californie, partie orientale du Chemin des Dames qui domine le village de Craonne, où les assauts furent terriblement meurtriers.


Quand au bout d’huit jours le repos terminé
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c’est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros, comm’ dans un sanglot
On dit adieu aux civ’lots
Même sans tambours et sans trompettes
On s’en va là-haut en baissant la tête

 Refrain :
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous des condamnés
Nous sommes les sacrifiés

Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r’lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et le silence
On voit quelqu’un qui s’avance
C’est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l’ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes

C’est malheureux d’voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c’est pas la même chose
Au lieu d’se cacher tous ces embusqués
F’raient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendre leurs biens, car nous n’avons rien
Nous autres les pauv’ purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendr’ les biens de ces messieurs là

 Refrain :
Ceux qu’ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini, nous, les troufions
On va se mettre en grève
Ce sera vot’ tour messieurs les gros
De monter sur le plateau
Si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau

On sait aujourd’hui que ce sont de nombreux soldats africains de l’armée coloniale qui moururent en masse pour la plupart, avec les autres, sur le Chemin des Dames.




Cette guerre qui dura de 1914 à 1918 en Europe et se poursuivit au Moyen Orient se conclut-t-elle vraiment en 1926 avec l’entrée officielle de l’Allemagne dans la Société des Nations, comme certains historiens le disent ?
En tous cas pas avant le 24 juillet 1923, date de la signature du Traité de Lausanne entre la Turquie et quelques uns des alliés — France, royaume d’Italie, Royaume-Uni, empire du Japon, royaume de Grèce, royaume de Roumanie, royaume des Serbes, Croates et Slovènes — qui scella la fin de l’histoire de l’empire Ottoman (où le génocide des Arméniens durait depuis 1915).

Elle nous apparaît aujourd’hui avoir porté sa suite de tous les conflits modernes et post-modernes advenus et à venir. Les dizaines de millions de morts natifs et coloniaux déplacés sur les divers fronts de la première guerre mondiale par tous les belligérants resteront une ignominie.
Quant aux armes, à Verdun, 30 millions d’obus de la part allemande, 23 millions de la part française, sont lâchés en dix mois, durant l’année 1916, le tout équivalant aujourd’hui à ce que l’on sait de 15 fois la puissance de la bombe d’Hiroshima.

Aucun militaire de la hiérarchie ni gouvernement ne peuvent être exemptés des lourdes responsabilités face aux morts, aux blessés, aux gueules cassées, aux exécutions sommaires par les gradés sur le terrain, aux tribunaux expéditifs faisant les fusillés pour l’exemple, aux déportés dans les bagnes, officiellement travestis pour les chiffres de la postérité en condamnés de droit commun, et pour ceux qui parmi eux une fois matés tenaient encore debout après un an ou deux de travaux forcés, le renvoi sur le front. Tous réprimés car refusant le suicide massif absurde qui leur était infligé, ils en avaient appelé à la raison de la hiérarchie qui ne voulait les entendre.
La lettre qui suit témoigne de l’horreur d’une des phases ultimes de la guerre des tranchées par la voix d’un condamné pour l’exemple, qui écrit sa dernière lettre à son épouse.

« Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l’exemple est réhabilitée, mais je n’y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre. »

Loin de toute propagande et des petits mots, la voix de Jean-Luc Mélenchon Président de groupe à l’Assemblée nationale ouvrant le double meeting de Pau avec Emmanuel Maurel le 8 novembre, début de la campagne électorale associée de leurs mouvements respectifs pour les européennes de 2019, rendit hommage — le seul hommage possible, dit-il — aux fusillés de la guerre, qui méritent plus qu’une minute de silence pour leur souffrance, leur conscience, leur dignité, et l’oubli cachant la honte dans lequel la mémoire collective les avait remisés.

À cent ans de l’anniversaire de l’armistice, les poilus fusillés pour l’exemple sont publiquement réhabilités par quelques hommes politiques et des journaux populaires engagés, et généralement parmi la plupart des correspondants anglais et français dans les réseaux sociaux. Aussi nous ne pensons humilier ni Eugène ni Léonie ni leur fille — si elles sont encore de ce monde, — mais bien au contraire leur faire réparation, en publiant la dernière lettre que leur proche espéra leur faire parvenir. [1]

Car se révoltant en 1917 en sachant les répressions qui avaient précédé dès 1915 les mutins du Chemin des dames savaient ce qu’ils risquaient. L’intelligence et la raison humaine mènent aussi aux formes d’héroïsme du renoncement au prix de la vie.

Pour conclure, un ami avait récupéré une collection de cartes postales envoyées du front par des poilus à leurs familles, ce qui laissait une incroyable impression comme la langue écrite avait une syntaxe parfaite et presque jamais dysorthographique, quelle que fût la condition sociale des correspondants. Ainsi l’école de Jules Ferry n’avait laissé personne sur le bord de la route mais pour mieux conduire vers les tranchées. Après s’être installée sur les dizaines de milliers de morts de la Commune de Paris par le feu des Versaillais dirigés par Thiers, la Troisième république envoya la population nationale et coloniale se faire exterminer par millions dans une guerre interminable : tuer et assassiner fut-il le principal de ce qu’elle fit pour ses peuples, quand l’éphémère Front populaire élu en 1936 ne résista pas à l’approche de la seconde guerre mondiale et n’ayant pas mis fin à l’asservissement colonial ?

Et au-delà, la 4è république poursuivant de guerroyer contre les mouvements de libération nationaux anti-coloniaux, que dire des guerres civiles qui succédèrent aux libérations comme continuation des guerres de domination impériale sous proxy durant la 5è, sinon qu’ainsi nous émergeons toujours en puissances de la guerre contre les peuples par les armes au dehors et au-dedans par les contentions légales assignant à s’appauvrir jusqu’à la vie nue ou à ces limites, ou à dominer sous l’oligarchie des puissances post-démocratiques, aujourd’hui ?

Jamais comme dans le recrutement des millions de soldats à tuer et à être tués l’égalité sociale républicaine n’exista en temps de paix comme sur le front de la première guerre mondiale, dans la capacité de l’État à sacrifier en masse son peuple.

L. D.


N.B. Ce texte est la préface de la lettre écrite par Eugène à sa jeune épouse Léonie le 30 mai 1917, pour lui annoncer qu’il va être fusillé pour l’exemple le lendemain, extraite de La revue des ressources, où ils ont été publiés à l’occasion du centenaire de l’armistice le 11 novembre 2018, dans un article intitulé « Hommage aux fusillés de la Grande Guerre, à leur courage de tous les instants ». Pour lire la lettre se reporter à l’article original en suivant le lien :
https://www.larevuedesressources.org/Hommage-aux-fusilles-de-la-Grande-Guerre-a-leur-courage-de-tous-les-instants.html.


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Le village de Soupir, dans l’Aisne, en avril 1917
(domaine public)
Source wikimedia commons



P.-S.

En logo, « Le cimetière de Soupir, au pied du Chemin des Dames, témoigne de la violence des combats de 1917. » fr.wikipedia, (La chanson de Craonne)
CC BY-SA 3.0.

Notes

[1] En 1998, une sculpture monumentale de quatre mètres de haut, Ils n’ont pas choisi leur sépulture a été érigée sur le plateau de Californie. Cette commande publique, réalisée par le sculpteur français Haïm Kern, célèbre le quatre-vingtième anniversaire de l’armistice de 1918. C’est Lionel Jospin, Premier ministre à l’époque, qui inaugura le monument le 5 novembre 1998. Dans son discours, Lionel Jospin souhaita que les Soldats fusillés pour l’exemple, « épuisés par des attaques condamnées à l’avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond », qui « refusèrent d’être des sacrifiés », victimes « d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale. » (fr.wikipedia, « Le plateau de Californie »)

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