░ L’histoire est parsemée d’œuvres fabuleuses. Que de talents se sont succédé au-travers des âges ! Et encore aujourd’hui nous sommes témoins des créations nouvelles et merveilleuses qui s’offrent à nous, presque en instantané, grâce aux moyens de communications dont nous disposons.
Observateur émerveillé, je ne cesse de comparer mes modestes moyens créatifs à ces exubérantes et fascinantes réalisations qui se présentent à moi. Combien de fois je me désole de mes résultats si sobres et chancelants ! Pourtant, je continue. Je rage souvent devant mes limites. Mais je continue. Je pars dans toutes les directions. On m’a déjà presque reproché d’avoir trop d’imagination, trop de projets dans la tête, que ceci en bout de compte, diluait mon potentiel. Me recentrer, lutter contre l’éparpillement est inutile. J’en ai eu la preuve maintes fois. J’ai même cessé de comprendre ce que je fais, ne pas trop analyser et simplement exécuter. Laisser couler, glisser, comme l’encre quitte la plume et s’imprègne dans le papier. Il n’y a pas d’œuvre s’il y a retenue.
Je n’aime pas me qualifier d’artiste, ou d’écrivain, ou encore de poète. Les vrais artistes, écrivains et poètes sont grandioses. Je suis sobre. Me réclamer de leur grandeur me semble être un sacrilège. Je n’ose pas fouler leurs chemins. Je cherche un mot avec lequel je me sentirais à l’aise sans cette impression de trahir ou de dénaturer leurs statuts. Aucun mot ne m’est encore venu à l’esprit. J’ai opté de laisser les autres me trouver une étiquette. Ils en ont trouvé trois : artiste, écrivain, poète. Retour à la case départ ? Ou les prendre tel un lourd fardeau et aller mon chemin, lentement, avec beaucoup d’hésitation. Je ne veux pas décevoir. Je suis inquiet.
Je me suis déjà posé la question : qu’est-ce que l’art ? Ma petite réponse qui me satisfait depuis est : l’art est ce qui véhicule un message, ce qui porte une émotion. Une définition qui crée une séparation avec le divertissement sans pour autant en considérer un plus important (ou supérieur) que l’autre. L’art qui entre le plus facilement en résonance profonde avec moi est la musique. Classique, pop ou contemporaine et audacieuse, il y a dans tous ces styles de quoi me transporter à tous les niveaux. Quelques œuvres visuelles vont m’émouvoir avec autant d’intensité mais la plupart semblent s’adresser à mon intellect. Elles n’y restent pas bloquées mais y trouvent tout le contentement nécessaire. La danse contemporaine me fait vibrer émotivement ; je ne l’articule pas intellectuellement du tout.
À chaque fois que je crée, que ce soit un texte, une image, une petite pièce musicale, un vêtement ou autre, je sais être rempli de quelque chose d’insaisissable. Il n’y a pas de règle ou de construction intellectuelle très claire. Je tente pourtant de tout raisonner. Je cherche un sens. J’en colle un au besoin, comme pour réussir à nommer, contenir. Ce qui en résulte est tout autre. Si j’ai une image claire en tête de ce que je veux réaliser, le résultat en est opposé. Le corps interfère : je demeure impuissant, pris au piège. Ma technique me limite. Il y a parfois un « invisible » qui œuvre pour moi. Les choses se terminent abruptement : la somme de détails que j’avais prévue est toujours plus grande dans mon imaginaire que ce que je réalise concrètement. Mes pièces sont à la fois achevées et inachevées. Achevées parce que mon corps décide de ne plus vouloir intervenir ; inachevées parce que mon esprit reste sur sa soif d’accomplissement.
Puisque je tends de plus en plus à créer avec de moins en moins de détails, une forme d’automatisme et d’instantanéité obligée me guidant malgré moi vers des résultats si étranger à ma pensée, je me suis mis à me poser cette question : qu’est-ce que l’atome de l’art ?
Oui, qu’est-ce qui est le motif le plus petit, le trait le plus simple, le point même, le petit bout de papier découpé, le plus petit assemblage de notes de musique qui peut se réclamer être une œuvre d’art ?
Il y a des œuvres d’une richesse et d’une complexité incroyables : des monuments d’application de techniques maîtrisées à un niveau étourdissant. Il y a des œuvres tout aussi magistrales mais d’un minimalisme efficace comme un scalpel : atteindre le but sans bavure.
Est-ce que l’art réside dans l’objet, dans sa perception, dans la distance entre l’œuvre et la pensée ou encore l’émotion de l’observateur. Est-ce que l’art est une chose ambiante ? Est-ce qu’une œuvre peut exister sans qu’elle ait de support matériel ? Qu’elle soit une situation, comme par exemple un agencement de personnes dans la rue à un instant précis, une valse lente et douloureuse d’automobiles avançant péniblement à l’heure de pointe, des bribes de conversations glanées au hasard, toute chose qui n’a pas de permanence mais qui arrive à susciter une émotion, à émettre un message, qu’il y ait intention initiale ou non.
Pour l’instant la réponse que je peux donner à la question de l’atome de l’art consiste en l’observation de ma propre réaction par rapport à l’environnement, qu’il soit occupé par une œuvre formelle ou non : ce n’est pas un trait de crayon, un coup de pinceau, une note, un objet ou un fragment, ou encore quelque forme minimaliste d’installation, l’atome de l’art est un mot, qu’il appartienne au langage ou non, qui prend naissance en réaction avec le phénomène de perception, mot suscité par une émotion ou un fragment de pensée, ou un mot qui détermine les coordonnées de positionnement qui est le mien par rapport à moi-même et non à l’œuvre. L’œuvre est un catalyseur de ce processus de réflexion. Si quelque chose me ramène à moi-même, me fait prendre conscience où je suis et où j’en suis, que ce soit clair ou non, je suis en présence d’un atome d’art.
Une œuvre peut en contenir un seul, des dizaines, des milliers ou en être composé d’un nombre indéterminable.
Mais est-ce que cette réflexion ne réduit pas justement le travail de l’artiste au néant, puisque je tends à croire que l’art ne se situe pas dans l’objet mais dans ma perception. Je ne sais pas. Probablement des milliers de personnes ont réfléchi à la question et ont trouvé des réponses beaucoup plus satisfaisantes. Mes connaissances en la matière sont très limitées. Cependant, pourquoi me priverai-je de tenter d’y penser ou de me proposer une réponse ?
J’exclus l’application de la technique dans mon questionnement sur l’atome de l’art parce que, trop souvent, on apprécie une œuvre à sa qualité technique, à son ensemble esthétique, ses premiers niveaux d’observations en fait. Combien de s’exclamer « je ne pourrais pas en faire autant » en observant une œuvre ? Quoique cette question et la présence certaine d’émotions qui en résultent à ce moment-là, et compte tenu de ce que j’ai dit plus tôt au sujet de l’atome de l’art, cette position précise existe lorsqu’on est confronté à d’autres éléments, domaines et situations qui ne sont pas artistiques. Le fait d’exclure la technique dans mon questionnement ne signifie pas qu’elle n’a aucune importance mais bien qu’à elle seule elle ne répond pas à la question qui me mène à une meilleure perception/compréhension de l’art.
Dans quelques années j’aurai probablement un tout autre point de vue. Peut-être même la notion d’atome de l’art sera complètement évacuée, qu’elle n’aura plus aucun sens. Je ne voudrais surtout pas me figer dans des dogmes de mon invention.
Par extension, on pourra s’amuser à développer un algorithme itératif mental pour décrire comment une œuvre littéraire, composée de mots, suscitera d’autres mots dans notre esprit qui formeront des atomes d’art. Un dialogue incessant, parfois à haute intensité entre l’œuvre figée dans le texte et le langage vibrant dans notre tête.
Quand je crée, il y a ce dialogue violent entre ce que je veux faire et ce que je réalise par mes moyens et limites.
Je m’interroge également sur la production de masse de produits qui peuvent présenter toutes les caractéristiques d’une œuvre d’art mais qu’on ne considère généralement pas comme tel. La caractéristique artistique résiderait alors dans l’intention de création plutôt que dans l’intention de production. L’artiste ou les artistes doivent s’être investis personnellement dans le processus de production : composer, manipuler l’œuvre. Et ce ne pourrait pas en être le cas si c’étaient des ouvrier qui faisait le travail à la place ? Dans ce cas l’œuvre est une empreinte dans la matière laissée par un artiste.
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░ Petite anecdote. J’ai travaillé il y a quand même plusieurs années de cela pour une famille très riche. À l’occasion j’étais invité chez un des membres de cette famille pour régler des pépins d’ordinateurs, comme on en connaît tous, n’est-ce pas ? À chaque visite j’étais en premier lieu honoré de la confiance qui m’était manifestée pour régler le petit problème et aussi ébahi de toutes ces œuvres d’art qui emplissait sa demeure, sans surcharge. Tapisseries anciennes, tableaux, sculptures, meubles uniques et prodigieux. Je ne pouvais m’empêcher de lui demander si je pouvais toucher ces objets. Il était toujours étonné de cette demande si inusitée (j’étais le seul à sa connaissance qui s’intéressait à ce point avec le contact) . Je répondais que cette obsession du toucher devait être un effet secondaire (indésirable ?) de toutes ces années passées à travailler tissus et fils à tricoter. Au-delà de la couleur et de la texture qui se voit, le toucher complète la perception.
Le toucher est souvent un élément absent dans l’observation de l’art. On comprend aisément que si tout le monde pouvait tripoter les œuvres qu’elles se dégénéreraient rapidement. Le toucher n’est pas à négliger dans ma réflexion sur ce qu’est l’atome de l’art.
Ceci dit j’ai une toute aussi intense passion pour les œuvres numériques, celles qui proposent de nouveaux espaces virtuels, de nouvelles façons d’assembler les données et de les proposer à notre perception.
Inédit pour criticalsecret © 2014 Michel Belisle
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En français | Into English
░ History is strewn with fabulous works of art. So many talented people have come and gone through the ages! And with today’s new means of communication we are being presented almost instantly with new and wonderful creations the minute they are completed.
Amazed at what I see, I can’t help but constantly compare my modest creative work with these exuberant and fascinating achievements. How often I feel sorry looking at my poor and hesitant work! Yet, I continue. My limits are often a source of anger. But I continue. I move in all directions. I have already received this comment of having almost too much imagination, too many projects in my head, which in turn seemingly dilute my potential. To refocus and fight against this dispersal effect is useless. I have had numerous proofs of that. I even stopped to understand what I do: do not overanalyze and just do. Let go, follow the ink as it leaves the pen and is absorbed in the paper. No art work can emerge from too much self-control.
I do not like to call myself an artist nor a writer, not even a poet. True artists, writers and poets are grand. I’m restrained. To reclaim of their greatness seems to be a sacrilege. I dare not tread their paths. I am looking for a word that would make me feel comfortable without the impression of betrayal or misrepresentation. No word yet has come to my mind. I therefore opted to let others label me and my work. They found three: artist, writer, and poet. Back to square one? Or take such a heavy burden and go my way, slowly, with much hesitation. I do not want to disappoint. I’m worried.
I once asked myself: what is art? My own answer that had satisfied me since is: art is what conveys a message, an emotion. This definition creates a separation from entertainment without necessarily considering one more important than the other. The art that mostly resonates deeply with me is music. Classical, pop or contemporary and audacious, all these styles do transport me to incredible heights. Some visual works move me with as much intensity but will mostly speak to my intellect. They do not remain stuck there but, at that level, I can draw most of my satisfaction. Contemporary dance makes me vibrate emotionally; I do not articulate this form of art intellectually at all.
Whenever I create, whether it is a text, an image, a small piece of music, a garment or else, I know to be filled with elusive impressions. There is no clear rule or intellectual construction. Yet I try to reason everything. Looking for a meaning. If need be, I find one: a means for me to label, to delineate. If I have a clear picture in mind of what I want to achieve, the result is opposite. The body interferes. I am powerless, trapped. My technical abilities are also limitations. Sometimes I feel an "invisible" self is working instead of me. Things end abruptly: the amount of detail that I actually inject in my work is always much less than what I imagined at first. My pieces are dual-state: finished and unfinished. Finished because my body decides at one point not to intervene anymore; unfinished because my mind is still looking for a higher degree of achievement.
Since I tend more and more to create with fewer details, a form of automation and instantaneousness is guiding me in spite of what I always want to create firsthand, I began to ask myself: what is the atom of art?
Indeed, what is the smallest unit, the most simple line, the tiniest dot, the smallest piece of paper cut, the shortest sequence of musical notes that may claim to be a work of art?
There are works of such richness and incredible complexity, masterful application of techniques raised to a dizzying level of perfection. Other works are equally strong but their effective minimalism cuts like a blade: unequivocal flawlessness.
Does art lies in the object, in its perception, in the distance between the work and the thought or emotion of the observer. Is art an ambient thing? Can a work of art exist without having any material support? Is it a situation, such as an arrangement of people in the street at a specific time, the slow and painful trudging motion of cars at rush hour, bits and pieces of conversations gathered here and there at random, anything that is not permanent but happens and provokes an emotion, transmits a message, with initial intention or not.
Yet the answer I can give to the question of the atom of art consists in the observation of my own reaction to the environment, whether occupied by a formal or informal work of art: it is not a pencil line nor a brush stroke, note, object, fragment, or any form of minimalist installation, the atom of art is a word that belongs to a language, articulated or emotional, which comes as a response to the phenomenon of perception, prompted by an emotion or fragment of thought, or a word that determines the positioning coordinates which are mine in relation with myself and not with the work. The work of art is a catalyst for this reflection process. If something brings me back to myself, makes me realize where I am in space and where I am at in my thought process, whether it is clear or not, I am therefore in the presence of an atom of art.
Of course a work of art may contain a single, tens, thousands, or be composed of a indeterminable number of atoms of art.
But can that reflection suggest a reduction of the work of an artist to nothing, since I tend to believe that art lies not in the object but in my perception? I do not know. Probably thousands of people have thought about it before and found much more satisfactory answers. My knowledge in this area is very limited. However, why would I refrain myself trying to think about it or suggest an answer, at least to myself?
I excluded the application of the technique from my questioning on the subject of the atom of art because, too often, we appreciate a work by its technical quality, its general aesthetic, in fact limited to comments of an introductory nature. How many to exclaim "I could not do the same" while observing? Although this issue along with some emotions that necessarily arise at that time, and given what I said earlier about the presence of the atom of art, this particular perceptual position can also be suggested when one is confronted with other elements, areas and situations that are not specific to art. The technical factor being excluded in my questioning does not categorize it as unimportant but that alone does not answer the question which would lead me to a better perception and understanding of art.
In a few years from now I will probably have a completely different perspective. Maybe even the concept of the atom of art will be totally evacuated and become meaningless. I do not want to imprison myself in dogmas of my own invention.
By extension, it may be fun to develop a mental iterative algorithm to describe how a piece of literature composed of words, creates associations with other words in our mind which in turn will become atoms of art. A constant dialogue, highly intense at times, between the work in its fixed text form and the vibrant language flow in our mind.
When I create, there is this violent dialogue between what I want to do and the result of what I do constricted by my abilities and limitations.
I also wonder about the mass production of products that can have all the characteristics of a work of art but are not generally considered as such. Artistic characteristic then lies within the intention of creating rather than a production purpose. Artists must have personally invested themselves in the production process: beyond creating and handling the work. And would not it be the case also for assembly-line workers? Every work of art is an impression left by an artist in the material.
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░ Anecdote: Several years ago I worked for a very wealthy family. On occasion I was invited to a member of that family to settle some computer glitches, as we all experience sometimes, isn’t it? At each visit I was first honored by the confidence shown in me for resolving the technical problem but then I started feeling amazement at all the works of art that filled his home without excess: antique tapestries, paintings, sculptures, unique and extraordinary pieces of furniture. I could not help but ask him if I could touch these objects. He was always surprised about such an unusual request (I was the only one to his knowledge to be interested in a physical assessment of these wonders). I answered that this obsession of touch must have been a (unintended?) side effect: all those years I spent working with fabrics and knitting yarns. Beyond colors and textures that can be seen, the sense of touch completes the perceptual act.
Touch is often a missing element when observing works of art. Understandably, if anyone had the chance to fiddle with them, they would degenerate rapidly. The sense of touch must not be ignored in my reflection about the atom of art.
That said, I have an equally intense passion for digital works, a field that suggests new virtual spaces, new ways in assembling and presenting data and information.
Unpublished to criticalsecret from © 2014 Michel Belisle
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- 22 déc. | Dec. 22