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#AaronSwartz L’armée de Aaron / Aarons’s Army

Memorial for Aaron Swartz at the Internet Archive, San Francisco (January 24, 2013). Plus War for the Web (excerpts)

mercredi 27 février 2013, par
Orphée Delarue (Traduction)
, Carl Malamud, Aliette Guibert Certhoux

(aller directement à l’article principal / directly go to the main article)

Situation au 28 février

         Après l’annonce de la mort d’Aaron Swartz, sous les apparences d’un suicide, comme il a été retrouvé par sa partenaire chez lui, pendu par sa ceinture devant la fenêtre, dans la soirée du 11 janvier 2013, les pétitions pour obtenir une enquête du Congrès et du Sénat, sur les procureurs et les dossiers de leurs enquêtes et des services secrets, ont apporté des résultats plus déstabilisants qu’on n’aurait pu les penser éclairants.
- Mais les procureurs en dépit de la demande de leur révocation demeurent indemnes et les services secrets mutiques.
- Ainsi, au 28 février 2013, au terme des trois étapes des demandes et réponses entre des représentants de la Chambre au Congrès et les procureurs concernés par l’enquête et par le procès, puis de leur hiérarchie au sein du gouvernement fédéral, on voit apparaître à peu peu l’ensemble de la configuration corrompue et secrète — inavouable. A fortiori les témoins à charge survivant pouvant faire obstacle à ce que leurs propres dossiers et déclarations soient rendus publics — d’où la confusion générale. Mais en amont on voit apparaître de toutes façons un procès forcé, constitutionnellement condamnable, pour mener à offrir au défendant deux solutions aussi inacceptables l’une que l’autre.
- Bradley Manning joue son incarcération à vie, il décide de porter sur lui tous les câbles majeurs de wikileaks, il va déclarer pourquoi et comment, et par là il veut libérer les anonymes ou partenaires qui demeurent en liberté (quoique relative) des menaces qui pèsent sur eux. C’est un un homme qui a craqué ou un héros — pour en être un jusqu’au bout il faudrait qu’à terme il soit libéré : du moins était-ce le destin du héros moderne, de revenir vivant parmi la société porteur des récits et des témoignages de ses exploits, comme aux temps immémoriaux d’Ulysse. On en doute comme il est entre les mains des militaires.
- Des deux solutions proposées à Swartz aucune ne lui laissait affirmer les raisons constitutionnelles de sa désobéissance civile. L’une comme l’autre coupaient son futur : plaider coupable en perdant la crédibilité éthique et professionnelle nécessaires à l’avenir, ou non coupable en étant certain dans ce cas d’en prendre pour trente ans. Sans compter un montant total estimé par sa famille et sa partenaire à 4 million de dollars, amendes et caution, défense et procédures comprises. Enfin, il cita à des proches la peur d’être agressé sexuellement à titre punitif en prison, si peu aurait-il dû y rester, dont il avait sans doute été menacé par les enquêteurs visant à le convaincre de s’accuser ou d’accuser (car cela est maintenant avéré contre les activistes réfractaires emprisonnés, et rappelé dans une interview de Jacob Appelbaum par Amy Goodman pour Democracy Now !).
- L’horreur.
- Dans un premier temps, dès l’avant dernière semaine de février, il ressortait des réponses des procureurs que les enquêtes n’ayant pas apporté les résultats attendus, trop minces pour justifier l’investigation coûteuse et approfondie qui avait été entreprise, la pression pour que Swartz se déclarât coupable et fît dans ce cas quelques mois de prison aurait été en quelque sorte pour eux un moyen de sauver la face (+ Business Insider).
- À vrai dire cet aveu de faiblesse pourrait servir à dissimuler une intention délibérée de réprimer au grand dam du droit et quoiqu’il en fût de l’éthique de la justice (autant sous la pression électorale et l’ingérence des lobbies qu’aux ordres directs du pouvoir abusif ou secret de ses agents, à l’égide de la Section 215 du Patriot Act).
- D’autres contradictions, dérèglements, et désordres multiples, confus ou dissolus de la justice et de l’enquête furent révélés, en sorte que durant la dernière semaine de février, la hiérarchie gouvernementale entra en lisse pour couvrir ses procureurs, en revendiquant la responsabilité d’avoir ordonné l’enquête, autant que la façon dont elle avait été conduite pour obtenir des chefs d’inculpation criminels, et mener le grand jury et les juges à un verdict hautement répressif.
- Comme les membres du Congrès demandèrent pourquoi, puisqu’il n’y avait pas lieu de délit correspondant, le gouvernement a répondu que c’était à cause du précédent de l’écriture par Swartz du Guerilla Open Access Manifesto, qui représentait un potentiel terroriste (Huffington Post). A quoi chacun faisant remarquer d’une part que le texte de référence existant depuis 2008 n’avait jamais requis leur attention auparavant, et que d’autre part la libération des documents du système PACER réalisé en 2007 (qui dans cette logique aurait pu aussi bien être attribuée au prolongement du manifeste), en réalité eut lieu un an avant que le manifeste ne fût écrit, et donc ce raisonnement ne tenait pas comme argument de l’exploit JSTOR.
- Ni une affaire ni une autre ne pouvait avoir déserté le dossier du FBI sur le précédent exploit, évoqué dans l’éloge funèbre de Carl Malamud [1].
- Enfin, les représentants remarquèrent que de toutes façons les propos dans le manifeste, si radicaux fussent-ils, n’appelaient pas à la violence. On leur répondit qu’il existait une présomption que ce texte pût être à l’origine du hacking massif des documents de JSTOR (répétition incessante de la même réponse sitôt démontée).
- Comme entre temps un autre service gouvernemental chargé de l’éducation et des sciences avait produit une circulaire exécutive appelant les sociétés et les groupes qui publiaient ou distribuaient les archives scientifiques et universitaires aux frais de l’argent fédéral, y compris les documents gouvernementaux, à les mettre en accès libre, du coup l’objet de la privatisation des documents de la connaissance du domaine public par JSTOR étant presque prescrit, et de toutes façons comme ils avaient retiré leur plainte en temps voulu, en parler ne faisait plus sens de la privatisation à tout crin ni du procès.
- C’était faire peu de cas du journalisme d’investigation démocratique qui reste donc vivant aux États-Unis, lorsqu’il s’entête à comprendre une énigme pour en dévoiler les rouages. Ce qui résulte de ces troubles du gouvernement et de ses administrations, pour une présidence qui se prétend démocratique et constitutionnelle, c’est que la seule chose pouvant justifier en terme de pouvoir représentatif toutes ces erreurs est la consécration de l’abus du pouvoir par lui-même, délié de la constitution — encore et toujours par le Patriot Act qui vient corser tous les autres Acts parano d’État qui alourdissent la constitution américaine depuis la guerre froide et même depuis la guerre de 1914-1918, dont un article précisément dispense le président des États-Unis des amendements constitutionnels sur les droits des citoyens.
- Mais derrière cela plus que la raison d’État se cache potentiellement encore la corruption de la justice par l’entrisme des lobbies du copyright et du commerce des documents, et la transgression opportuniste de la sécurité américaine à leur service, armé des lois supranationales abusives, des multiples sociétés privées de sécurité, et d’un président complice.
- Enfin, comble de confusion et de mensonges : les services secrets refusent de libérer le dossier sur Swartz demandé par le journal Truth-out, pourtant dû au titre du Freedom Information Act, car en dépit de la mort du défendant persécuté, il est répondu que ce dossier demeure ouvrable... puis finalement non ouvrable (mais de toutes façons impliquant certainement les témoins à charge), puis finalement encore ouvrable...
- Bref nous ne sommes pas au bout de l’affaire Swartz : soit il n’y a plus rien à dire, parce que les dossiers sont vides, soit ils ne le sont pas et alors cela ne pourrait concerner que la dissimulation de pratiques des représentants du gouvernement légal condamnables, autrement dit la cascade des transgressions de la loi par ses représentants mêmes, ou dissimuler ou protéger des indicateurs des services de renseignement, parmi le réseau des autres informaticiens hackers ou d’autres activistes, et/ ou le traçage d’autres activistes des droits comme Aaron Swartz à advenir réprimés leur moment venu. ou, c’est bien une guerre qui se mène, contre des résistants admirables dans ce pays qui domine le monde.
- Et nous, où en sommes-nous ? Ne croyons pas en être très loin.
- Le dernier point inquiétant, lorsqu’on découvre la confusion et les contradictions des réponses officielles, c’est de mettre en relation le fait que Swartz, incorruptible et donc totalement incontrôlable à leurs yeux, allait commencer une recherche et entreprendre une campagne d’information sur les drogues, et que ce fut peut-être une raison supplémentaire, pour les fédéraux et des forces obscures accroissant la diversité des lobbies, de le mener à la mort... [2]
#AaronSwartz le révélateur n’a pas fini de dévoiler les mécanismes et le sens du système de sécurité américain comme une guerre anti-citoyenne à l’intérieur des États-Unis adossée à des guerres à l’extérieur du pays, et même d’une certaine façon comme tous les États occidentaux liés à ces guerres du dedans comme du dehors y compris la guerre des lobbies contre les droits qui se nourrit de la situation de crise économique publique des États.
- Pour conclure, bouleversé par la disparition de son jeune ami et partenaire, Carl Malamud publia immédiatement dans le site d’Internet Archive la première partie du texte qu’il reprit et développa lors du Mémorial de San Francisco, et dont la version que nous proposons ici est la forme définitive.

A. G-C.

AARON SWARTZ Carnet de janvier-février_Notebooks of January-February : Sommaire / Contents.


[ EN - FR ]

Aaron’s Army

Memorial pour Aaron Swartz à Internet Archive
le 24 janvier 2013

Discours et remarques de Carl Malamud


http://youtu.be/4NSPqFXocFA


           Ne croyez pas un instant que le travail de Aaron sur JSTOR fut l’acte aléatoire d’un hacker solitaire, d’une sorte de fou, un gros téléchargement sous le coup de l’émotion.

Depuis longtemps JSTOR était arrivé à faire l’objet de critiques foudroyantes parmi le net. Larry Lessig dans une conversation qualifia JSTOR de scandale moral et je suppose que je doive avouer qu’il m’ait cité. Nous n’étions pas les seuls à attiser les flammes.

Séquestrer la connaissance derrière des murs aux guichets rémunérateurs — rendant les revues scientifiques disponibles seulement pour quelques enfants ayant la chance d’être dans des universités de luxe, et moyennant un coût de 20 $ l’article pour le 99% restant d’entre nous, était une plaie infecte. Cela offensait beaucoup de monde.

Beaucoup de ceux qui écrivaient ces articles étaient gênés que leur travail advînt en marge de profit pour quelqu’un — un club de la connaissance réservée aux membres.

Mais JSTOR n’était qu’une des nombreuses batailles. Ils essayèrent de dépeindre Aaron comme une sorte de loup solitaire du piratage informatique, un jeune terroriste allant faire un massacre fou d’IP causant 92 millions de $ de dommages et intérêts.

Aaron n’était pas un loup solitaire, il faisait partie d’une armée et j’ai eu l’honneur de servir avec lui pendant une décennie. Vous avez entendu beaucoup de choses sur sa vie remarquable, mais ce soir je veux juste me concentrer sur une seule.

Aaron faisait partie de l’armée citoyenne qui pense que la démocratie ne fonctionne que lorsque les citoyens sont informés, quand ils savent ce qui concerne leurs droits — et leurs obligations. Une armée qui croit devoir rendre accessible, pour tous, la justice et la connaissance — pas seulement aux bien-nés ou à ceux qui ont saisi les rênes du pouvoir, — pour que nous puissions nous gouverner nous-mêmes d’une façon plus judicieuse.

Il faisait partie d’une armée de citoyens qui rejette les rois et les généraux et croit au consensus brut et au code qui fonctionne.

Nous avons travaillé ensemble sur une douzaine de bases de données gouvernementales. Quand nous travaillions sur quelque chose, les décisions n’étaient pas impétueuses. Notre travail prenait souvent des mois, parfois des années, parfois une décade, et Aaron Swartz n’a pas eu droit à son lot de décades appropriées.

Nous avons examiné et titillé pendant une longue période la base de données du Copyright des États-Unis, le système était tellement vieux qu’il marchait encore sur un serveur WAIS [3]. Le gouvernement avait-croyez-le ou pas, déclaré un droit d’auteur sur la base des données du droit d’auteur. Comment on peut mettre un copyright sur une base de données de ce qui est spécifiquement cité dans la Constitution américaine est au-delà de mon entendement, mais nous savions qu’en violant leurs conditions d’utilisation nous jouions avec le feu, donc nous étions prudents.

Nous avons pris ces données et elles furent utilisées pour nourrir l’Open Library, ici, à Internet Archive, et elles furent utilisées pour nourrir Google Books. Et nous avons reçu du service du Copyright une lettre de renonciation au droit d’auteur sur cette base de données du droit d’auteur. Mais avant que nous ne l’ayons obtenue, il fallut nous préoccuper du gouvernement qui nous tirait vers le cas d’un téléchargement en vrac malveillant, et il fallut parler à beaucoup d’avocats.

Ce n’étaient pas des actes d’agression au hasard. Nous travaillions sur des bases de données pour les rendre meilleures, pour que notre démocratie fonctionne mieux, pour aider notre gouvernement. Nous n’étions pas des criminels.

Lorsque nous avons hissé hors de leur 8 cents d’octroi par page de PACER les 20 millions de pages de documents des tribunaux de circonscription des États-Unis, nous avons trouvé ces documents publics infestés par des violations de la confidentialité : noms des enfants mineurs, noms des informateurs, des dossiers médicaux, des dossiers de santé mentale, des documents financiers, des dizaines de milliers de numéros de sécurité sociale.

Nous étions des dénonciateurs envoyant leurs résultats aux juges en chef des 31 tribunaux de circonscription et les juges furent choqués et consternés et expurgèrent ces documents et ils blâmèrent les avocats qui les avaient déposés et la Conférence judiciaire changea leurs règles de confidentialité.

Mais vous savez ce que les bureaucrates qui dirigeaient le Bureau Administratif des tribunaux des États-Unis ont fait ? À leurs yeux, nous n’étions pas des citoyens qui avions rendu meilleures les données publiques, nous étions des voleurs qui avions pris 1.6 millions de $ de leur propriété.

Donc ils ont appelé le FBI, ils ont dit qu’ils étaient piratés par des criminels, une bande de criminels qui mettait en péril leur flot de revenu de 120 millions de $ par an de la vente des documents publics du gouvernement.

Le FBI s’est installé à l’extérieur de la maison d’Aaron. Ils l’ont appelé pour essayer de l’embobiner afin de le rencontrer sans son avocat. Pour aller au fond de ce prétendu complot, le FBI m’a assis avec deux agents armés dans une salle d’interrogatoire... Mais nous n’étions pas des criminels, nous étions des citoyens, tout simplement.

Nous n’avions rien fait de mal. Ils ne trouvèrent rien de mal. Nous avions fait notre devoir en tant que citoyens et les enquêtes du gouvernement n’eurent rien à en remontrer, sinon une perte de beaucoup de temps et d’argent.

Si vous cherchez un effet d’effroi, asseyez quelqu’un pendant quelque temps avec une paire d’agents fédéraux qui se sont fixé des objectifs trop ambitieux et voyez comme le sang se refroidit rapidement.

Il y a les gens qui font face au danger chaque jour pour nous protéger — des officiers de police et des pompiers et des travailleurs des urgences — et je suis stupéfié et reconnaissant pour ce qu’ils font. Mais le travail que des gens du peuple comme Aaron et moi avons fait, transférer sur DVD et faire marcher des scripts shell sur du matériel public, ne devrait pas être une profession dangereuse.

Nous n’étions pas des criminels, par contre il y avait des crimes, des crimes commis contre l’idée même de justice.

Quand avant d’avoir envisagé la moindre transaction la procureure des États-Unis déclara à Aaron qu’il devait plaider coupable de 13 crimes graves pour avoir tenté de propager la connaissance, c’était un abus de pouvoir, une utilisation abusive du système de la justice pénale, un crime contre la justice.

Et cette procureure des États-Unis n’agit pas seule. Elle fait partie d’une petite troupe d’intention sur la protection de la propriété plutôt que sur la protection du peuple. Partout aux États-Unis, ceux sans accès aux moyens sont dépourvus d’accès à la justice et font face à ces abus de pouvoir chaque jour.

Quand une société à but non lucratif comme JSTOR, chargée de faire progresser les connaissances, retourna en procès fédéral pour 92 millions de dollars un téléchargement qui n’avait causé ni dégâts ni dommages : c’était un crime contre l’éducation.

Et le monopole d’entreprise de JSTOR sur la connaissance n’est pas le seul. Partout aux États-Unis, des sociétés ont jalonné de leurs clôtures les domaines de l’éducation : les collèges à but lucratif qui volent nos anciens combattants — leurs organismes de normalisation à but non lucratif pour lesquels les codes de la santé et de la sécurité publiques sont rationnés, — pendant que des millions de dollars en salaires sont accordés aux conglomérats multinationaux, qui mesurent la recherche scientifique à la valeur de leurs marges brutes sur les documents légaux et les articles scientifiques.

Dans l’affaire JSTOR, n’était-ce pas une position excessivement agressive des procureurs du Ministère de la Justice, et la vengeance des représentants chargés de faire respecter la loi, parce qu’ils étaient embarrassés — du moins à leurs yeux — que nous eûmes d’une façon ou d’une autre échappé à quelque chose pour l’incident PACER ? Était-ce que l’accusation impitoyable pour JSTOR fut la vengeance des bureaucrates confondus parce qu’ils avaient paru stupides dans le New York Times — parce que le Sénat américain les avait mis au tapis ?

Nous ne saurons probablement jamais la réponse à cette question, mais il est sûr que la vie d’un jeune homme semble avoir détruite par un abus de pouvoir réel de cela. Ce n’était pas une affaire pénale, Aaron n’était pas un criminel.

Si vous pensez que vous possédez quelque chose quand moi je pense que cette chose est publique, je serai très heureux de vous rencontrer devant une cour de justice et — si vous avez raison — de faire mon lot de vous avoir trompé. Mais quand on tourne des agents de la loi armés contre des citoyens qui essayent d’accroître l’accès à la connaissance, c’est qu’on a profané le temple de le justice, qu’on a cassé l’État de droit.

Aaron Swartz n’était pas un criminel, il était un citoyen et un soldat courageux dans une guerre qui se poursuit aujourd’hui, une guerre dans laquelle des profiteurs corrompus et vénaux essayent de voler, d’amasser et d’affamer notre domaine public, au profit de leur gains privés respectifs.

Quand des personnes essaient de restreindre l’accès au droit, ou quand elles essaient de percevoir des péages sur le chemin de la connaissance, ou de refuser l’éducation à ceux qui n’ont pas les moyens, ces personnes-là sont celles qui doivent faire face au regard fixe d’un procureur public outragé.

Où le Ministère de la Justice a mis Aaron pour avoir essayé d’améliorer notre monde est le même endroit que celui où il peut vous mettre vous-même. Notre armée n’est pas un loup solitaire, ce sont des milliers de citoyens parmi lesquels beaucoup d’entre vous dans cette assemblée — qui se battent pour la justice et pour la connaissance.

Je dis que nous sommes une armée et j’utilise le mot à juste titre parce que nous faisons face à ceux qui veulent nous emprisonner d’avoir téléchargé une base de données pour l’observer de plus près, nous faisons face aux gens qui croient qu’ils peuvent nous dicter ce que nous pouvons lire et ce que nous pouvons dire.

Mais quand je vois notre armée, je vois une armée qui crée au lieu de détruire. Je vois l’armée du Mahatma Gandhi marchant paisiblement jusqu’à la mer pour trouver le sel pour le peuple. Je vois l’armée de Martin Luther King marcher à Washington, paisiblement mais avec détermination, pour exiger leurs droits parce que le changement ne roule pas sur les roues de l’inévitable, il passe par la lutte continue.

Quand je vois notre armée, je vois une armée qui crée de nouvelles occasions pour les pauvres, une armée qui rend notre société plus juste et plus équitable, une armée qui rend universelle la connaissance.

Quand je vois notre armée, je vois Aaron Swartz et mon coeur est brisé. Nous avons perdu vraiment un de nos meilleurs anges.

Je voudrais que nous puissions changer le passé, mais nous ne pouvons pas. Pourtant, nous pouvons changer l’avenir et nous le devons.

Nous devons le faire pour Aaron, nous devons le faire pour nous, nous devons le faire pour rendre le monde un meilleur endroit, un endroit plus humain, un endroit où les œuvres de justice et l’accès à la connaissance sont des droits de l’humain.

Carl Malamud
Traduit par Orphée Delarue


D’après la source https://public.resource.org/aaron/army/


[ FR - EN ]

Aaron’s Army

Memorial for Aaron Swartz at the Internet Archive
January 24, 2013

Text of Remarks by Carl Malamud


           Do not think for a moment that Aaron’s work on JSTOR was the random act of a lone hacker, some kind of crazy, spur-of-the-moment bulk download.

JSTOR had long come in for withering criticism from the net. Larry Lessig called JSTOR a moral outrage in a talk and I suppose I have to confess he was quoting me. We weren’t the only ones fanning those flames.

Sequestering knowledge behind pay walls—making scientific journals only available to a few kids fortunate enough to be at fancy universities and charging $20 an article for the remaining 99% of us—was a festering wound. It offended many people.

It embarrassed many who wrote those articles that their work had become somebody’s profit margin, a members-only country club of knowledge.

Many of us helped fan those flames. Many of us feel guilty today for fanning those flames.

But JSTOR was just one of many battles. They tried to paint Aaron as some kind of lone-wolf hacker, a young terrorist who went on a crazy IP killing spree that caused $92 million in damages.

Aaron wasn’t a lone wolf, he was part of an army, and I had the honor of serving with him for a decade. You have heard many things about his remarkable life, but I want to focus tonight on just one.

Aaron was part of an army of citizens that believes democracy only works when the citizenry are informed, when we know about our rights—and our obligations. An army that believes we must make justice and knowledge available to all—not just the well born or those that have grabbed the reigns of power—so that we may govern ourselves more wisely.

He was part of an army of citizens that rejects kings and generals and believes in rough consensus and running code.

We worked together on a dozen government databases. When we worked on something, the decisions weren’t rash. Our work often took months, sometimes years, sometimes a decade, and Aaron Swartz did not get his proper serving of decades.

We looked at and poked at the U.S. Copyright database for a long time, a system so old it was still running WAIS. The government had—believe it or not—asserted copyright on the copyright database. How you copyright a database that is specifically called out in the U.S. Constitution is beyond me, but we knew we were playing with fire by violating their terms of use, so we were careful.

We grabbed that data and it was used to feed the Open Library here at the Internet Archive and it was used to feed Google Books. And, we got a letter from the Copyright Office waiving copyright on that copyright database. But before we did that, we had to talk to many lawyers and worry about the government hauling us in for malicious premeditated bulk downloading.

These were not random acts of aggression. We worked on databases to make them better, to make our democracy work better, to help our government. We were not criminals.

When we brought in 20 million pages of U.S. District Court documents from behind their 8 cent-per-page PACER pay wall, we found these public filings infested with privacy violations : names of minor children, names of informants, medical records, mental health records, financial records, tens of thousands of social security numbers.

We were whistle blowers and we sent our results to the Chief Judges of 31 District Courts and those judges were shocked and dismayed and they redacted those documents and they yelled at the lawyers that filed them and the Judicial Conference changed their privacy rules.

But you know what the bureaucrats who ran the Administrative Office of the United States Courts did ? To them, we weren’t citizens that made public data better, we were thieves that took $1.6 million of their property.

So they called the FBI, they said they were hacked by criminals, an organized gang that was imperiling their $120 million per year revenue stream selling public government documents.

The FBI sat outside Aaron’s house. They called him up and tried to sucker him into meeting them without his lawyer. The FBI sat two armed agents down in an interrogation room with me to get to the bottom of this alleged conspiracy.

But we weren’t criminals, we were only citizens.

We did nothing wrong. They found nothing wrong. We did our duty as citizens and the government investigation had nothing to show for it but a waste of a whole lot of time and money.

If you want a chilling effect, sit somebody down with a couple overreaching federal agents for a while and see how quickly their blood runs cold.

There are people who face danger every day to protect us—police officers and firefighters and emergency workers—and I am grateful and amazed by what they do. But the work that people like Aaron and I did, slinging DVDs and running shell scripts on public materials, should not be a dangerous profession.

We weren’t criminals, but there were crimes committed, crimes against the very idea of justice.

When the U.S. Attorney told Aaron he had to plead guilty to 13 felonies for attempting to propagate knowledge before she’d even consider a deal, that was an abuse of power, a misuse of the criminal justice system, a crime against justice.

And that U.S. Attorney does not act alone. She is part of a posse intent on protecting property not people. All over the United States, those without access to means don’t have access to justice and face these abuses of power every day.

It was a crime against learning when a nonprofit corporation like JSTOR, charged with advancing knowledge, turned a download that caused no harm and no damage into a $92 million federal case.

And the JSTOR corporate monopoly on knowledge is not alone. All over the United States, corporations have staked their fences on the fields of education : for-profit colleges that steal from our veterans, nonprofit standards bodies that ration public safety codes while paying million dollar salaries, and multinational conglomerates that measure the worth of scientific papers and legal materials by their gross margins.

In the JSTOR case, was the overly aggressive posture of the Department of Justice prosecutors and law enforcement officials revenge because they were embarrassed that—in their view at least—we somehow got away with something in the PACER incident ? Was the merciless JSTOR prosecution the revenge of embarrassed bureaucrats because they looked stupid in the New York Times, because the U.S. Senate called them on the carpet ?

We will probably never know the answer to that question, but it sure looks like they destroyed a young man’s life in a petty abuse of power. This was not a criminal matter, Aaron was not a criminal.

If you think you own something and I think that thing is public, I’m more than happy to meet you in a court of law and—if you’re right—I’ll take my lumps if I’ve wronged you. But when we turn armed agents of the law on citizens trying to increase access to knowledge, we have broken the rule of law, we have desecrated the temple of justice.

Aaron Swartz was not a criminal, he was a citizen, and he was a brave soldier in a war which continues today, a war in which corrupt and venal profiteers try to steal and hoard and starve our public domain for their own private gain.

When people try to restrict access to the law, or they try to collect tolls on the road to knowledge, or deny education to those without means, those people are the ones who should face the stern gaze of an outraged public prosecutor.

What the Department of Justice put Aaron through for trying to make our world better is the same thing they can put you through. Our army isn’t one lone wolf, it is thousands of citizens—many of you in this room—who are fighting for justice and knowledge.

I say we are an army, and I use the word with cause because we face people who want to imprison us for downloading a database to take a closer look, we face people who believe they can tell us what we can read and what we can say.

But when I see our army, I see an army that creates instead of destroys. I see the army of Mahatma Gandhi walking peacefully to the sea to make salt for the people. I see the army of Martin Luther King walking peacefully but with determination to Washington to demand their rights because change does not roll in on the wheels of inevitability, it comes through continuous struggle.

When I see our army, I see an army that creates new opportunities for the poor, an army that makes our society more just and more fair, an army that makes knowledge universal.

When I see our army, I see the people who have created the Wikipedia and the Internet Archive, people who coded GNU and Apache and BIND and LINUX. I see the people who made the EFF and the Creative Commons. I see the people who created our Internet as a gift to the world.

When I see our army, I see Aaron Swartz and my heart is broken. We have truly lost one of our better angels.

I wish we could change the past, but we cannot. But, we can change the future, and we must.

We must do so for Aaron, we must do so for ourselves, we must do so to make our world a better place, a more humane place, a place where justice works and access to knowledge is a human right.

Carl Malamud


Source https://public.resource.org/aaron/army/


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* Si le tweet qui apparaît dans la fenêtre d’envoi est trop long, (le nombre de signes en excès apparaissant dessous, précédé de : "-") le raccourcir avant de l’envoyer, en prenant soin de ne pas supprimer le lien même de l’article.


P.-S.


Aaron Swartz — fragments de l’interview enregistrée en juillet 2013, après le congrès de Freedom To Connect à Washington D.C., pour le film War to web, (en cours de production) par J. Cameron Brueckner, Ben Caspi, Michael Wooldridge. Ils ont réalisé ce montage de plusieurs extraits et l’ont publié en hommage, avec l’autorisation de téléchargement sous Creative Commons, dès le 16 janvier.


http://vimeo.com/57539840
16 01.13 / Excerpts from Aaron Swartz Interview – July 10, 2012
.


           “However crazy your ideas are, however weird your thoughts are, even if you just want to say something you don’t even believe but just think is interesting, that’s protected, for the most part — whether your going after the government, whether your releasing documents that they have tried to keep secret… the government can’t stop any of that. We have the right as American citizens to have this sort of free and open communication – to share what we think, what we feel…

           « Aussi folles que soient vos idées, aussi bizarres que soient vos pensées, même si vous voulez juste dire quelque chose en quoi vous ne croyez même pas, mais que vous trouvez simplement intéressant, et qui est majoritairement protégé — que vous dépassiez le gouvernement, que vous libériez des documents qu’ils essayent de garder secret : rien de tout ça ne peut être arrêté par le gouvernement. On a le droit en tant que citoyens américains d’avoir ce genre de communication ouverte et libre — de partager ce qu’on pense, ce que l’on ressent... » (Citation extraite du montage vidéo retranscrite par Marie Peters, le 19 janvier 2013).


Notes

[1] NdCS : Le dossier à propos de l’affaire PACER fut republié par le FBI à la place des dossiers concernant le procès qui avait précipité Swartz dans la mort. Mais ce dossier était déjà connu par Aaron Swartz lui-même. Alors on peut se demander pourquoi une telle redondance ? La réponse qui vient à l’esprit concerne une pression sur les personnes dont les noms y sont caviardés, afin d’éloigner l’attention sur la citation à comparaître des deux témoins à charge du procès en cours contre Swartz, parmi lesquels son ancienne compagne(Erin) Quinn Norton, et dont les noms apparurent dans le dossier du grand jury (603 pages), rendu public deux semaines après la mort de Swartz (mais les engagements de déclaration des témoins négociés et d’autres informations consignées sur un disque sont restés secrets)... Pour en revenir à l’affaire de 2007 sur laquelle l’enquête a eu lieu en 2009, Carl Malamud a lui-même informé dans les documents du FBI les caviardages qui concernaient son nom. De sorte que la pression a échoué au moins pour lui.

[2] NdlCS — Des souvenirs diffus d’assassinats politiques ou de morts inexpliquées de personnalités engagées tracassées par les services secrets des États-Unis au dedans comme au dehors reviennent à la mémoire : la lettre du FBI envoyée à Martin Luther King par le FBI pour tenter de le mener au suicide peu avant de l’assassiner en fin de compte (la même année), la destruction par le FBI de la vie de Jean Seberg qui précéda de quelques années son soi-disant suicide, son corps ayant été retrouvé enroulé dans une couverture sur le siège arrière de sa voiture, garée sous les fenêtres de l’appartement de l’homme d’affaires Bolloré, dans le XVIe arrondissement de Paris (Guillaume Durand, journaliste répondant du témoignage de sa jeunesse à Simon Guibert, producteur du documentaire de radio réalisé par Yvon Croizier, La mort de Jean Seberg ; Le vif du sujet, France Culture, diffusée le 6 juillet 2004. Synopsis in www.criticalsecret.com International T.1). Et puis, dans le cadre des soixante ans de l’exécution des Rosenberg, cette année, le souvenir que le journaliste du New York Times, Sam Roberts, auteur du livre The Brother (mai 2003) sur David Greenglass, le frère d’Ethel, relate les propos du sous-procureur général Rogers du Président Eisenhower, qui aurait du gracier les Rosenberg (auxquels on avait promis la grâce s’ils parlaient), et en particulier Ethel qu’ils savaient totalement innocente, selon lequel leur mauvaise décision était due à une défaillance de leur stratégie, parce qu’Ethel n’avait pas cru à leur chantage, qu’elle avait qualifié de bluff (She called our bluff, littéralement "elle nous a traités de faire du bluff") ; on peut télécharger ici, à la fin de cette note, le document officiel déposé par Sam Roberts pour contribuer à la publication des actes du grand jury des Rosenberg en 2008. Ce qui pousse plus loin l’arbitraire du Président (et Général) Eisenhower, lequel n’avait pas manqué de trahir sa misogynie (que certains auteurs qualifient d’antisémite) en privé, disant par exemple qu’Ethel était l’âme damnée du couple, puis après l’exécution écrivant dans une lettre à son fils, alors sur le front de la guerre en Corée, qu’elle n’était qu’une ménagère sans intérêt, mais que justement il ne l’aurait pas graciée pour ne pas donner aux soviétiques l’idée de recruter leurs espionnes parmi les mères de famille américaines. (Ilene Philipson, Ethel Rosenberg, Beyond the Myths (1992) ; en tout état de cause il faut lire les actes du grand jury pour comprendre à quel point les témoins furent circonvenus et le grand jury manipulé par les procureurs et l’investigation.

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Sam Roberts
(source)

Taryn Simon, (qui expose actuellement au MoMA), partenaire co-éditrice de l’Atlas d’Image avec Aaron Swarz pour le New Museum au printemps dernier, explique à Maya Lau, journaliste du New York Times, l’impression qu’elle a ressentie la première fois qu’elle l’a vu connecter son ordinateur, en ces termes :
"she noticed that the way he logged into his online accounts seemed exceptionally complex. “The length of time it took to enter his password conveyed a certain pressure that was upon him,” (...) There was this sense that something was closing in on him," (...) “Something that needed to be guarded against.”.
« elle a remarqué que la façon dont il se connectait à ses comptes en ligne semblait exceptionnellement complexe. « La longueur du temps qu’il fallut pour entrer son mot de passe transmettait une certaine pression qui pesait sur lui », (...) « Il y avait ce sentiment que quelque chose se refermait sur lui », (...) « quelque chose dont il était nécessaire de se protéger. » (The NYT, The 6th Floor magazine, le 19 janvier 2013).

Taryn Simon parle depuis une intuition des pressions arbitraires implacables dont Swartz dès le mois d’avril dernier était l’objet, informée en proportion des menaces (finalement résolues par le NYT) à l’encontre de son propre travail... Lorsque ses quelques 1075 photos ramenées de cinq jours de reportage dans les pays du Moyen Orient, dont l’Iran, furent saisies à la douane de l’aéroport Kennedy, comme s’il s’agissait de sa part de faits de contrebande grave.

[3] NdCS : Wide Area Information Server.

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