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#AaronSwartz Ronaldo Lemos se souvient de Aaron Swartz / A Tribute to Aaron Swartz by Ronaldo Lemos

2013 Carnet janvier-février : Part.1

lundi 11 février 2013, par
Caroline Comacle
, Aaron Swartz, Ronaldo Lemos (Date de rédaction antérieure : 30 janvier 2013).

« Cofondateur du site Reddit et du format RSS, Aaron Swartz est mort, vraisemblablement par suicide, dans son appartement de Brooklyn, le 11 janvier dernier, à l’âge de 26 ans.
En 2009, dans le cadre d’un échange par e-mail jamais publié jusqu’ici, Swartz m’avait parlé de son enfance, de ses espoirs vis-à-vis du web et de la politique, ainsi que de l’importance de la curiosité. [ ... ] » 

Ronaldo Lemos,
Chef de projet de Creative Commons, Brésil

AARON SWARTZ Carnet de janvier-février_Notebooks of January-February : Sommaire / Contents.



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Swartz, lors d’une convention Wiki à Boston en août 2009, peu après sa visite au Brésil.


Mon échange d’email avec Aaron Swartz
indique un penseur original


En 2009, j’ai hébergé Aaron Swartz chez moi à Rio de Janeiro. C’est l’une des personnes les plus intelligentes que j’aie jamais rencontrées. Avant son arrivée, il avait eu la gentillesse de m’accorder par e-mail un entretien, que je publie aujourd’hui, en hommage à l’héritage qu’il nous a laissé.


Pouvez-vous me parler un peu de votre parcours, expliquer comment vous vous êtes intéressé aux ordinateurs et en êtes venu à travailler sur le format RSS ?

Aîné de trois garçons, j’ai grandi dans une petite ville de banlieue au cœur des États-Unis. Mon grand-père dirigeait une petite entreprise de fabrication d’enseignes, que mon père a reprise et transformée en société d’édition de logiciels. Donc j’ai toujours été entouré d’ordinateurs et j’ai beaucoup joué avec, car il n’y avait pas grand chose à faire dans ma banlieue. Nous avons eu Internet très tôt (vers 1992) et depuis je passe une grande partie de mon temps en ligne, à lire mes mails, participer à des discussions de groupe, surfer sur le Web. J’habitais à près de 10 kilomètres de mon école et je voyais donc peu mes camarades en dehors des cours. À la place, je me suis fait des amis par Internet. À 12 ans, mon père m’a emmené au MIT dans le cadre d’un voyage d’affaires. Pendant une journée, j’y ai suivi le cours du professeur Philip Greenspun, qui essayait d’expliquer tous les principes de construction des applications web. J’étais tellement emballé que j’ai tenté de m’y mettre sitôt rentré chez moi. Ma première réalisation a été une encyclopédie en ligne, dont la rédaction était ouverte à tous, mais au final, seuls ma mère et quelques camarades de classe y ont contribué. Je me suis ensuite attelé à la création d’un programme destiné à collecter des articles sur toutes sortes de sites d’actualités, en les regroupant sur une seule page. À l’époque, c’était assez difficile : chaque site étant conçu selon un format différent, il fallait concevoir un logiciel différent pour chacun d’eux. Certaines personnes parlaient d’inventer un standard, de manière à uniformiser le format de lecture. Je me suis évidemment rapproché d’elles. Comme j’étais encore très jeune, j’avais beaucoup de temps libre et on m’a confié de plus en plus de travail, ce qui m’a permis de devenir l’un des rédacteurs de la spécification qui allait devenir RSS 1.0.

Votre palmarès est remarquable alors que vous êtes encore très jeune. Pouvez-vous me parler de vos réalisations ? Comment envisagez-vous votre œuvre et comment l’expliquez-vous ? Talent, inspiration, curiosité, labeur ? Quelque chose à expliquer aux enfants qui aimeraient marcher dans vos pas ?

Quand j’étais enfant, je m’interrogeais beaucoup sur ma différence. Je ne pense pas que j’étais plus intelligent que les autres enfants, et je n’avais certainement pas plus de talent. Je ne peux pas non plus prétendre avoir davantage travaillé. D’ailleurs, je n’ai jamais été un gros bosseur. J’ai juste toujours cherché à faire des choses qui me plaisaient. J’en suis venu à me dire que j’étais juste plus curieux, mais qu’il ne s’agissait pas d’une qualité innée. Les jeunes enfants sont incroyablement curieux, ils passent leur temps à explorer et à essayer de comprendre le fonctionnement des choses. Le problème, c’est que l’école émousse cette curiosité. Au lieu de laisser les élèves explorer par eux-mêmes, elle les force à lire certains livres et à réfléchir sur certaines questions. S’ils tentent de faire autre chose à la place, les élèves sont punis. Il est rare que la curiosité résiste à de telles brimades. Ça a pourtant été mon cas, par le hasard des choses. Je suis resté curieux et ai simplement suivi ma curiosité. J’ai commencé à m’intéresser aux ordinateurs, ce qui m’a amené à m’intéresser à Internet, puis à la création de sites d’actualité en ligne, puis aux standards (comme le CSS), puis à la réforme du copyright (puisque Creative Commons voulait utiliser des standards similaires). Et ainsi de suite. La curiosité se nourrit d’elle-même. Chaque nouvel apprentissage comporte plusieurs versants et implique un grand nombre de connexions, que l’on a envie d’explorer à leur tour. On s’intéresse à de plus en plus de choses, jusqu’à se captiver en quasi-permanence. Quand on arrive là, l’apprentissage devient vraiment simple. On veut presque tout apprendre, puisque tout devient fascinant. Je suis convaincu que les gens que l’on trouve intelligents ont simplement une longueur d’avance dans ce processus. J’avais l’impression de simplement assouvir ma curiosité, quelle que soit la voie où elle m’amenait, y compris si cela impliquait des actes de folie comme quitter l’école ou refuser un travail « classique ». Ce n’était pas évident. Mes parents n’ont toujours pas digéré que j’ai abandonné mes études, mais j’ai toujours réussi comme ça.

Qu’allez-vous faire maintenant et quels sont vos projets ?

Je cherche actuellement à assainir la politique aux États-Unis. Je travaille sur trois fronts. Le premier consiste à m’investir dans le groupe Change Congress du Prof. Lawrence Lessig, qui vise à faire adopter une loi pour que les fonds de campagne de tous les principaux candidats soient identiques. Le deuxième est un site que j’ai lancé, watchdog.net, qui publie toutes sortes de données politiques (votes des représentants, origine de leurs financements, membres de leurs lobbys etc.) afin de dégager les tendances et d’identifier les corruptions). Le troisième est un groupe appelé PCCC, qui soutient les campagnes aux primaires de candidats honnêtes. À l’heure actuelle, les primaires sont un véritable parcours du combattant. Aucun politique n’adresse la parole aux candidats s’ils n’ont pas réuni des fonds colossaux. Ceux qui y parviennent se font exploiter et les politiques prennent un malin plaisir à leur prodiguer de mauvais conseils. Nous cherchons donc de très bons candidats, les aidons à collecter des fonds sur Internet et leur apprenons à gérer leur campagne en faisant appel au bénévolat plutôt qu’en dépensant des millions en consultants et en spots publicitaires. Quant à mon avenir, je ne sais pas trop. Je veux publier davantage et pense prendre le temps d’écrire un livre. Lawrence Lessig prend la direction du Centre d’éthique de l’Université d’Harvard et je trouverais chouette de publier chez eux.

Au Brésil, beaucoup de jeunes sont très enthousiastes vis-à-vis d’Obama. Que pensez-vous de son élection et qu’attendez-vous de lui ?

Beaucoup d’Américains sont aussi enthousiastes vis-à-vis d’Obama. C’est d’ailleurs mon cas, pour toutes sortes de raisons, la plus évidente étant qu’il est le premier président noir. Son atypie tient aussi à la foule de bénévoles et de donateurs qu’il a su mobiliser pour se faire élire. Mais ce que je trouve le plus incroyable chez lui, c’est que contrairement à nos autres présidents, il n’est pas uniquement une figure de proue. Obama n’est pas un acteur qui se contente de réciter son texte devant les caméras. C’est avant tout un être humain qui prend le temps de réfléchir aux problèmes et rédige même certains de ses discours. Mais ceci dit, je pense que l’important, ce n’est pas la personnalité d’Obama, mais son programme. Et l’actualité est chaque jour plus catastrophique à cet égard. Il a commencé par nommer beaucoup de membres des gouvernements précédents, en expliquant que pour entreprendre et innover, il avait besoin d’hommes d’expérience. Malheureusement, ces individus chevronnés semblent toujours répéter les mêmes erreurs. Obama a retiré plusieurs dispositions fondamentales de son projet de loi sur la reprise économique dans l’espoir de le faire passer. Aucun conservateur ne l’a approuvé pour autant. Son équipe économique a ressorti la proposition de l’administration Bush d’aider les banques en les inondant de fonds sans imposer la moindre restriction sur leur utilisation. Aujourd’hui, les conservateurs exigent encore davantage de coupes dans son plan de reprise, le leader de la réforme du système de santé a démissionné et les économistes libéraux sont chassés de son administration. Bien sûr, nous n’en sommes qu’au début du mandat, mais il semble évident que nous ne pouvons pas attendre qu’Obama prenne de lui-même les bonnes mesures. Nous devons le pousser à mieux faire.



Ronaldo Lemos est chef de projet de Creative Commons Brésil, et membre du Centre d’information des politiques de la technologie à l’université de Princeton. Il est fondateur et directeur du Centre de la société et des technologies à la faculté de droit de la fondation Getulio Vargas (FGV), où il est aussi professeur spécialisé en droit de la propriété intellectuelle. Il est titulaire d’une licence auprès de la Faculté de droit de l’université de Sao Paulo, d’un Master en droit auprès de la faculté de droit de Harvard et d’un doctorat en droit auprès de l’Université de Sao Paulo.

[Note : Une version antérieure de cet article indiquait par erreur que Ronaldo Lemos était membre du Center for Information Technology Policy de l’université de Princeton.]


Ronaldo Lemos, Aaron Swartz, Traduits par Caroline Comacle


Source My Email Exchange With Aaron Swartz Shows An Original Thinker, By Ronaldo Lemos, Project Lead, Creative Commons Brazil ; Fast Company, January 14, 2013 [1]


Vous pouvez partager et diffuser ce contenu à l’identique sur le web en Open Access (accès libre et gratuit) selon la licence suivante et sous les mêmes conditions et signatures : Creative Commons License
"Ronaldo Lemos se souvient de Aaron Swartz / A Tribute to Aaron Swartz by Ronaldo Lemos" by Caroline Comacle - translator into French from Ronaldo LemosMy Email Exchange With Aaron Swartz Shows An Original Thinker is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported License. Based on a work at http://www.criticalsecret.net/ronaldo-lemos-se-souvient-de-aaron-swartz-a-tribute-to-aaron-swartz-by-ronaldo-lemos,096.html.


* Si le tweet qui apparaît dans la fenêtre d’envoi est trop long, (le nombre de signes en excès apparaissant dessous, précédé de : "-") le raccourcir avant de l’envoyer, en prenant soin de ne pas supprimer le lien même de l’article.


P.-S.

Le bandeau est un recadrage de la photo du graphe mural à l’effigie de Aaron Swartz, réalisé durant les jours suivant immédiatement sa mort, à Brooklyn (document re-twitté par Tim Berners-Lee le 29 janvier 2013) et apparemment (selon d’autres photos de l’immeuble où habitait Swartz), sur le mur mitoyen même de son propre immeuble contigu du Deli au portrait de Bradley Manning :



Notes

[1] -

Original Version

 My Email Exchange With Aaron Swartz Shows An Original Thinker

By Ronaldo Lemos, Project Lead, Creative Commons Brazil January 14, 2013 | FAST COMPANY

Reddit and RSS cofounder Aaron Swartz died Jan. 11 in his Brooklyn apartment at the age of 26, an apparent suicide. In this unpublished email exchange from 2009, Swartz told me about his early life, his hope for the web and politics, and the value of rugged curiosity.

In 2009, Aaron Swartz came to Brazil and stayed in my place in Rio de Janeiro. He is one of the brightest people I’ve ever met. He was kind enough to grant me an interview by email before he arrived. I’m publishing it below. Long live his legacy.

- Could you tell me a little bit about your background, how you got interested in computers, and how you ended-up working on RSS ?

I grew up the oldest of three boys in a small suburb in the middle of the US. My grandfather ran a small sign-making company, which my father took over and turned into a small software company, so there were always computers at home. There wasn’t much to do in our town, so I spent a lot of time playing with those computers. We got the Internet very early on (1992 or so) and ever since I’ve spent a large part of my life online — reading email, joining discussion groups, surfing the Web. The school I went to was 6 miles away, so I didn’t live near many of my friends. Instead, I made friends through the Internet. When I was 12 or so my Dad went on a business trip to MIT and took me along. I spent a day in a class by an MIT professor, Philip Greenspun, who tried to explain all the principles of building web applications. I was so excited by the class that I immediately went home and tried to make something. The first thing I made was an online encyclopedia that anyone could edit, but in practice only my mom and friends from school ever did. But the second thing I made was a program to grab news stories from all sorts of different news sites and combine them into one page. At the time, this was pretty difficult — each news site had its own format and you had to write software to read each one individually — but there were some people talking about making a standard, so that there was just one format you needed to read. Naturally, I began hanging out with them. Of course, as a kid, I had a lot of free time, so I ended up picking up more and more of the work, and ended up being one of the editors of the spec which became RSS 1.0.

- You did a lot of important things at a very young age, could you describe a few of them ? And how do you see and would explain that ? Talent, inspiration, curiosity, hard work ? Is there something that you would think that other kids who would like to follow your steps should know ?

When I was a kid, I thought a lot about what made me different from the other kids. I don’t think I was smarter than them and I certainly wasn’t more talented. And I definitely can’t claim I was a harder worker — I’ve never worked particularly hard, I’ve always just tried doing things I find fun. Instead, what I concluded was that I was more curious — but not because I had been born that way. If you watch little kids, they are intensely curious, always exploring and trying to figure out how things work. The problem is that school drives all that curiosity out. Instead of letting you explore things for yourself, it tells you that you have to read these particular books and answer these particular questions. And if you try to do something else instead, you’ll get in trouble. Very few people’s curiosity can survive that. But, due to some accident, mine did. I kept being curious and just followed my curiosity. First I got interested in computers, which led me to get interested in the Internet, which led me to get interested in building online news sites, which led me to get interested in standards (like RSS), which led me to get interested in copyright reform (since Creative Commons wanted to use similar standards). And on and on. Curiosity builds on itself — each new thing you learn about has all sorts of different parts and connections, which you then want to learn more about. Pretty soon you’re interested in more and more and more, until almost everything seems interesting. And when that’s the case, learning becomes really easy — you want to learn about almost everything, since it all seems really interesting. I’m convinced that the people we call smart are just people who somehow got a head start on this process. I fell like the only thing I’ve really done is followed my curiosity wherever it led, even if that meant crazy things like leaving school or not taking a "real" job. This isn’t easy — my parents are still upset with me that I dropped out of school — but it’s always worked for me.

- What are you doing right now and what are your plans for the future ?

Right now I am working on fixing US politics. This has three parts. The first is working for Prof. Lawrence Lessig’s group Change Congress, which is trying to get the US Congress to pass a bill so that every major political candidate has the same amount of money to run their campaign with. The second is a site I started called watchdog.net, which let’s you look through all sorts of different kinds of political data (what representatives voted on, who they got money from, who is lobbying them, and so on) to try to find patterns and corruption. The third is a group called the PCCC. It tries to make it easier for good people to run for Congress in the US. Right now, if you wanted to run for Congress, you really wouldn’t know where to start. Nobody in politics will talk to you unless you’ve raised a lot of money, and once you have raised a lot of money then they take most of it and give you really bad advice. So we try to seek out really good candidates, help them raise money over the Internet, and show them how to run a campaign powered by volunteers instead of television ads and expensive consultants. As for the future, I’m not sure. I want to do more writing, so I’m thinking of taking some time off and writing a book. Lawrence Lessig is taking of the Harvard Center on Ethics and I think it would be fun to do some writing there.

- A lot of young people are excited in Brazil about Obama, how do you see his election and what to expect from him in your view ?

A lot of people in the US are excited about Obama as well ! And I think it is very exciting, for all sorts of reasons. Most obviously, he is the first black president. He’s also unusual in that an enormous number of volunteers and donors worked together to get him elected. But the thing I think I personally find most amazing about him, is that unlike other presidents we’ve had, he’s not just a figurehead — Obama isn’t just an actor who says lines for the TV cameras, he’s a real person who genuinely thinks about the issues and even writes some of his own speeches. All that said, I think the important question now is not who Obama is, but what he’ll do. And each day the news gets worse on that front. He started by appointing a lot of people from previous governments, saying that although he wanted to do new things he needed experienced people to do them. Unfortunately, those "experienced" people seem to be repeating their same old mistakes. In order to get conservatives to vote for his economic recovery bill, he took out a number of key provisions. And then no conservatives voted for it anyway. His economic team has brought back the Bush administration’s proposal of helping banks by giving them lots of free money with no restrictions on how it can be used. Now conservatives are demanding even more cuts in his recovery plan, the leader of his health care reform effort has resigned, and liberal economists are being forced out of his administration. Obviously it’s still very early, but it’s clear that we can’t depend on Obama to do the right thing by himself. We need to push him to do better.

Ronaldo Lemos is Project Lead of the Creative Commons Brazil, and a fellow at the Center for Information Technology Policy at Princeton. He is founder and director of the Center for Technology & Society at the Fundação Getulio Vargas (FGV) Law School in Rio de Janeiro, where he is also head professor of intellectual property law. He holds a J.D. from the University of Sao Paulo Law School, a Master of Laws degree from Harvard Law School and a Doctor of Law from University of Sao Paulo.

(Ed. note : A previous version of this story incorrectly stated Lemos’s status as a fellow at the Center for Information Technology Policy at Princeton.)

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